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de fait, et qu’après s’être refusé à discuter avec les autorités publiques sur les questions du culte, il avait fini par y consentir. Ceci avait un intérêt philosophique ; mais, moi, je viens ici traiter de l’intérêt politique. Je vous réponds que cet ultimatum insolent, inadmissible, qui nous a été apporté, nous le repoussons du pied. »

Quel ton et, dans ce ton, quelle légèreté et quelle inconscience ! La Chambre éprouvait, en écoutant M. le président du Conseil, un malaise qui s’est sensiblement accru lorsque M. Briand a quitté le banc ministériel et est sorti de la salle des séances. M. Clemenceau ne s’est pas aperçu tout de suite de l’incident, tant sa verve l’étourdissait lui-même ; mais lorsqu’on le lui a fait remarquer, il s’est arrêté net. Les fumées oratoires se sont dissipées dans son cerveau, et, M. Jaurès lui-même l’ayant rappelé au sentiment des réalités, il a compris qu’il avait beaucoup à réparer. Chez lui, les résolutions et l’exécution ne sont pas deux faits successifs, mais bien un seul dont la rapidité déconcerte. Du haut de la tribune, il s’est empressé de faire des excuses à M. Briand. « Si, dans la chaleur de l’improvisation, j’ai pu être amené, a-t-il déclaré, à grossir les imperfections de la loi de 1905, je tiens à en exprimer hautement mon regret, surtout si mon collègue et ami s’était laissé aller à craindre que des critiques d’idées pouvaient dégénérer dans ma pensée en critique de personnes. Il sait bien qu’il n’a pas à redouter de moi un tel accident. J’ai pour lui trop de respect et d’amitié. Si, sans le savoir, j’ai pu le blesser, j’ai hâte de lui en exprimer ici publiquement mes regrets, et de lui dire formellement que c’est contre ma volonté. » Après avoir ainsi parlé, M. Clemenceau est allé chercher M. Briand dans les couloirs de la Chambre et l’a ramené en séance, où il a été accueilli par une chaude ovation. Et tout cela, discours et mise en scène, a été également improvisé sous l’impression du moment, par le pur effet du hasard. Étrange séance ! M. Clemenceau y apparaît au naturel, avec sa sincérité dont nous ne doutons pas le moins du monde, mais aussi avec le dangereux et impétueux caprice de sa verve inconsidérée. Plus habitué à subir ses impulsions qu’à les dominer, il y a cédé une fois de plus sans songer à mal, et a paru stupéfait quand il a constaté tous les dégâts qu’il avait accumulés en quelques minutes. Chacun a sa nature : la sienne ne l’a pas destiné à faire partie d’un attelage. Qu’on le mette dans un brancard : tôt ou tard il y ruera, donnera inconsciemment des coups de pied à ses voisins, et deviendra finalement dangereux pour la solidité du véhicule. S’il se tient tranquille quelque temps, il faut toujours craindre une revanche soudaine. Quand on a un aussi merveilleux tempérament