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vous estime : Et vous, monsieur le comte, vous irez en Angleterre pour cette affaire, me voici tout résigné en attendant l’accomplissement de cette belle prophétie dont j’ai ri souvent avec mes amis. Comme elle n’est pas tout à fait aussi sûre que celle d’Isaïe, vous feriez bien de venir ici vous-même, si vous voulez me voir avant que je radote. Avec quel plaisir je vous verrais de nouveau ! Comme je serais content de me trouver encore dans la même voiture avec vous ! Nous écririons à frais communs au comte de Kreptowitch pour l’inviter à venir nous voir passer.

« Pour en revenir à ce qu’il y a d’important, je ne vois dans le ciel aucune éclaircie qui annonce la fin des orages. Les bons mêmes sont divisés. Les Français se consolent de tout ce qu’ils souffrent avec la gloire militaire qui a toujours consolé l’homme de tout, même les sujets de Néron. Personne ne leur parle ; ils ne voient que ce qu’ils voient. Toutes les idées morales sont éclipsées, tous les souvenirs sont éteints. Leur véritable maître est annulé et traité par les autres puissances comme une espace d’ennemi, au lieu d’être élevé sur le pavois pour être visible de tous côtés. Tous les moyens lui manquent à la fois. Quel état de choses ! Un jour que je disais en généra ! , devant la princesse de Tarente, que les Anglais pourraient bien s’ils le voulaient donner au roi de France une très belle existence momentanée, en attendant mieux, elle se hâta de me dire : — Mais le Roi refuserait le moyen que vous avez en vue. — Je ne jugeai pas à propos d’entrer dans aucun détail : mais, je vis qu’elle avait connaissance du mémoire que je vous remis un jour sur les Antilles[1], et qu’elle savait de plus qu’il n’avait pas été du goût de votre maître.

« Pourquoi, cependant, ne recevrait-il pas d’une main amie la restitution d’une partie de ses Etats, faite purement et simplement sans aucune renonciation au reste ? Je comprends moins, je vous l’avoue, le mystère de la Trinité ! Heureusement (ou malheureusement) nous sommes bien loin de ce refus. Quant à moi, je n’y vois goutte et ne sais pas même imaginer la possibilité d’une autre situation digne d’un aussi grand personnage, comme simple expectative.

  1. Ce mémoire avait pour objet de démontrer que l’Angleterre devait rendre au Roi les colonies conquises par elle sur la France et lui assurer ainsi, avec des moyens d’existence, une résidence où il serait chez lui.