« J’ai vu le porteur de votre lettre[1], mais pas davantage. Je doute qu’il y ait des liaisons proprement dites entre nous. Je n’en cherche plus. Et le dégoût commence à me saisir. Vous me conseillez de parler au C…[2], dans un certain sens : Mon Dieu ! que pourrai-je dire qu’on ne lui ait dit ? D’ailleurs, je ne sais pas du tout s’il a tort. Ne dirait-on pas qu’il tient son maître en tutelle ! Ceux qui ont cette idée connaissent bien peu le maître. L’Empereur ne veut pas la guerre parce qu’il ne se croit pas en état de la faire et parce qu’il ne croit pas avoir, dans ce moment, un seul talent de général dans la main. Voilà tout le mystère, mon cher comte. Du reste, ne croyez pas, s’il vous plaît, qu’il soit la dupe de Napoléon et qu’il ne le connaisse pas. Si vous me dites ensuite qu’il a très mal fait de se compromettre à Austerlitz, à Friedland, et surtout à Erfurt où il a été véritablement vaincu, je n’ai rien à répondre ; vous avez raison ; mais le mal est fait. Au reste, il n’y a pas tout à fait mille ans que vous avez quitté ce pays ; rappelez-vous les personnages que vous avez connus, et dont nous avons tant parlé. Sur qui repose notre confiance ? Vous me répondrez sûrement comme le cyclope : Sur monsieur Personne. Ce comte Kamenskoï[3], qui vient de mourir et dont vous avez beaucoup lu le nom dans les gazettes, était, je vous l’assure, un homme fort ordinaire. Le maître sait tout cela. Il craint de se mesurer encore avec les armes françaises Encore une fois, voilà tout le mystère. Cependant, il faudra se battre ; mais quand ? mais comment ? Ceci est lettre close. Ce que je puis vous dire, c’est que les préparatifs sont sages et immenses. Pour cette fois, je vous réponds que l’Empereur ne sera pas pris sans vert, ni sur le pain, ni sur la poudre.
« Je regrette bien vivement que l’air de Madère n’ait point encore pu rétablir le digne comte d’Avaray. Vous m’accusez de ne pas lui rendre justice, n’est-ce point vous, au contraire, mon cher comte, qui ne me la rendez pas ? Quel homme dans le monde entier estime plus votre ami comme particulier, comme Français, et comme sujet ? Qui peut rendre plus de justice que moi à son attachement sans réserve, à son dévouement héroïque, à son inébranlable fidélité ? Mais, si vous le considérez comme