O lampe, amie austère et douce du travail,
Compagne des grands soirs, sœur des instans lyriques,
Qui contiens l’horizon des pays chimériques
Dans le cercle décrit par ton globe d’émail ;
O lampe étrange en ton humblesse coutumière,
Beau rendez-vous mystérieux et radieux
Où s’assemblent, ainsi qu’un concile de dieux,
Tous les nombres qui font éclore ta lumière ;
Présence universelle et pure à mon côté,
Où comme, en notre esprit peu à peu condensée,
La terre sous nos fronts se résume en pensée,
Tout l’infini des lois se concentre en clarté ;
Autre cœur vif brûlant près du mien, autre somme
Ou monde dont l’ensemble en toi palpite et luit.
Et par quoi, tutélaire et tendre, dans la nuit,
L’âme des choses veille avec l’âme d’un homme !
La plaine, où les faneurs chantaient, a tu son bruit ;
Et rien n’y reste plus, au vent sombre qui joue,
Que, baigné du silence où parfois il s’ébroue,
Un pâle cheval nu qui rêve dans la nuit.
Il est là, seul, mêlant sa forme vague et brève
A l’herbe d’où s’exhale un brouillard de fraîcheur ;
L’air semble frissonner autour de sa blancheur ;
Immobile, muet, écoutant l’ombre, il rêve…
Ah ! quel rêve, pareil au rêve puéril
Que chaque homme ici-bas agite dans sa tête,
Quel rêve, en sa cervelle obscure d’humble bête,
Ce soir, sous le mystère immense, ébauche-t-il ?