Quel rêve coutumier d’une vie où le maître,
L’homme brutal au fouet aveugle, serait doux,
Où, quand il vient, sa maigre échine prête aux coups
Ne tressaillerait plus d’avance ? — ou bien peut-être,
Quels âges primitifs où sa race paissait,
Libre, des champs dorés d’une vierge lumière,
Evoque-t-il, là-bas, dans la plaine première ?
Ou même encore, au fond de l’avenir, — qui sait ? —
Quel naïf Paradis voit-il, ample et sonore,
Où les chevaux lâchés dans de grands prés ouverts
Frapperaient du sabot des gazons toujours verts,
Sous l’éblouissement d’une immortelle aurore ?
— Ah ! si même il ne rêve, il désire, il attend,
Il appelle du moins sourdement quelque chose
Dont sans doute l’espoir hante son cœur morose,
Et le fait inquiet dans l’ombre et palpitant !
Hélas ! toujours, partout, le souhait, l’espérance,
Toujours, partout, l’appel du bonheur merveilleux,
Le songe multiforme et crédule du mieux
Que fait sans se lasser l’éternelle souffrance !…
Ah ! pauvre bête, loin ici de tout rieur,
Sous cette nuit qui porte une tendresse en elle,
Être proche où je sens une âme fraternelle,
Viens sans crainte, mon frère à peine inférieur,
Que je pose mon front sur ta tête asservie,
Que je mette mes bras à l’en tour de ton cou,
Et touche d’un baiser, que d’autres diront fou,
Tes tièdes flancs où bat la même triste vie !
Des roses, embaumant ma vague somnolence,
Des roses aux bouquets penchans et déjà mûrs,
S’effeuillent çà et là, dans le secret des murs,
Parmi l’attention légère du silence…