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défauts se compensent pour former ensemble un tout dont le mérite est très supérieur à celui de tous deux. C’est ce qu’il faut bien voir si l’on veut tous deux les comprendre, mais le second surtout, qui nous intéresse plus particulièrement, et rien qu’en le décrivant, on aura « expliqué, » en le ramenant aux raisons les plus simples du monde, ce qu’il y a d’abord de « singulier » dans le cas de ce traducteur plus lu, plus célébré, plus vanté que beaucoup de grands écrivains.

Né en 1513, à Melun, où son père était boucher, dit-on, sa première enfance fut dure, et le récit légendaire en a longtemps défrayé les recueils d’anecdotes sur les Enfans célèbres. L’histoire est partout du gros pain que sa mère lui envoyait toutes les semaines par le batelier de Melun, et, comme on ne vit pas seulement de pain, l’histoire aussi des expédiens auxquels il se vit plus d’une fois réduit, tels que de servir de domestique à des étudians plus riches ou moins pauvres que lui. De pareils commencemens ne sont pas rares dans l’histoire de notre littérature, et si l’on s’y attachait surtout à la biographie, cette diversité des origines n’en ferait pas le moindre charme. En France, il est sorti de grands écrivains de toutes les conditions, et tandis que l’éclat de la naissance n’y faisait aucune illusion sur la médiocrité des talens, l’humilité de la condition première n’y empêchait personne de conquérir la gloire, et quelquefois et en même temps la fortune. Amyot en est un exemple, qui avait à peine terminé ses Études que, sur la seule recommandation de ses maîtres de grec, Danès et Toussaint, la protection de Marguerite, l’auteur de l’Heptaméron, en faisait un professeur à l’Université de Bourges. C’était là qu’en récompense de sa traduction de Théagène et Chariclée, le roman d’Héliodore, François Ier lui conférait la riche abbaye de Bellozane, le dernier bénéfice dont il ait choisi le titulaire. Dès lors, disposant de nombreux loisirs, Jacques Amyot faisait, comme tous les érudits de l’époque, son pèlerinage d’Italie, découvrait à Venise les livres de Diodore de Sicile, qu’il devait traduire quelques années plus tard, 1554, gagnait à Rome la faveur du cardinal de Tournon, et déjà préparait, à travers les bibliothèques, en compulsant les manuscrits, sa traduction de Plutarque. Il touchait même un instant à la politique, et, d’après les instructions du cardinal, allait remplir à Trente, auprès des Pères du Concile, une mission dont le consciencieux historien De Thou a singulièrement exagéré