par lui, et quelqu’un qui le posséderait parfaitement, — comme fera bientôt Montaigne, — il s’en faudrait de bien peu qu’il ne possédât l’antiquité tout entière, depuis la religion et la guerre jusqu’à la médecine et à la musique. « Que de discours il m’a fallu avoir, disait un vieux traducteur de Pline le Naturaliste, avec paysans et artisans, comme fondeurs, gens de mine, monnayeurs, peintres, potiers, orfèvres, maçons, menuisiers, lapidaires, etc. » C’est ce qu’aurait pu dire Amyot, el lui aussi, c’est au vocabulaire de toutes les conditions qu’il avait affaire dans Plutarque. Mais qui ne voit pour quelle part cette raison même a dû contribuer au succès de Plutarque et d’Amyot ? Personne après tout n’est tenu de s’intéresser à la Retraite des Dix Mille ou à la Conjuration, de Catilina. Mais des descriptions de la vie quotidienne, voilà qui ne peut manquer d’intéresser tout le monde. Et, à ce genre de « littérature » quand la préoccupation morale se mêle, ce qui est encore le cas de Plutarque, et même un caractère essentiel de sa philosophie ; quand un tel écrivain ne se montre soucieux de rien plus que de la manière de « bien vivre, » c’est-à-dire conformément aux lois de la justice et de l’humanité ; quand de l’histoire même, — ce qui d’ailleurs est plutôt un défaut, — il manifeste une tendance perpétuelle à faire une « morale en action, » c’est alors que les lecteurs lui arrivent en foule, chacun d’eux y trouvant la satisfaction du genre de curiosité qu’il apporte, el aucun d’eux n’étant rebuté par le ton de hauteur ou de supériorité de l’écrivain. C’est ce ton de supériorité qui rend Marc-Aurèle illisible. Et puis, de même qu’il n’est pas du tout prouvé qu’en dépit de quelques grands philosophes, de petits effets n’aient quelquefois en histoire procédé de très grandes causes, — nascitur ridiculus mus : il ne l’est pas non plus que cette manière de concevoir, de décrire el d’essayer de régler la vie, en fonction de la morale, conforme au désir ou à l’idéal de la plupart des hommes, ne soit pas peut-être aussi, dans le vrai sens du mot, l’une des plus « philosophiques. » On pourra d’ailleurs se rendre compte que cette philosophie n’est pas incapable de quelque profondeur, ni de quelque force, en lisant le beau traité sur les Délais de la Justice divine. Et en effet, le même écrivain qui peut-être a traité l’histoire de la manière la plus anecdotique, est peut-être aussi, parmi les anciens, celui qui a le mieux reconnu dans les affaires humaines l’intervention d’une force majeure.
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