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Toutes ces qualités de Plutarque, ou ces défauts, ont passé dans la traduction d’Amyot, et c’est ce qui justifie le mot célèbre, qu’ « Amyot semble disputer le prix de l’éloquence historique avec son auteur, et faire douter s’il a, en le traduisant, accru ou diminué l’honneur de Plutarque. » Ne « doutons pas, » et disons qu’il l’a positivement « accru. » Quelques hellénistes mis à part, quand on nomme Plutarque, c’est Amyot qu’on veut dire, et les deux noms sont inséparables. C’est pourquoi il est presque inutile d’examiner curieusement si le traducteur français a toujours très bien compris son modèle grec, et si, comme on l’a prétendu, les contresens et les fautes n’abonderaient pas dans sa traduction. Il y en a certainement, il y en doit avoir. Amyot n’a pas toujours eu sous les yeux les meilleurs manuscrits, ni les meilleures éditions, et peut-être a-t-il su le grec d’une manière moins précise ou moins sûre qu’Henri Estienne. Il faudrait vérifier, si l’on jugeait que la question en valût la peine. On a aussi voulu qu’il y eût des nonchalances, des négligences, et des défaillances dans son œuvre. Et, assurément, il y en a ! Faut-il encore lui reprocher le manque de « couleur locale, » ou plutôt la naïveté avec laquelle il habille en quelque sorte les anciens du costume de son temps ? et qui transforme, par exemple, les « vestales » en « religieuses, » ou les favoris d’Alexandre en « gentilshommes de sa chambre ? » Mais, remarquons comme il est difficile de traiter cette question de la « couleur locale. » Car « les gentilshommes de la chambre d’Alexandre, » cela est amusant, mais les « favoris » ou les « serviteurs » d’Alexandre, ces expressions ont-elles plus de « couleur locale ? » et Plutarque lui-même, d’autre part, avec quelles « couleurs » nous peint-il les temps de Lycurgue ou de Numa Pompilius ? C’est, si je ne me trompe, avec les couleurs de son temps, qui cependant n’est pas le leur. Aussi bien ne peut-on pas dire qu’il y ait dans Plutarque de « couleur locale ? » S’il avait songé à y en mettre, sa tendance même à l’universalité l’en aurait empêché. Encore une fois, c’est à la représentation des « cas humains » qu’il s’attache, et non, si je puis ainsi dire, à celle d’un accident Spartiate ou thébain. D’où cette conséquence que si la « couleur locale » manque dans la traduction d’Amyot, l’altération du moins qui en résulte est tout à fait superficielle, n’atteint pas le fond des choses, et nous donne tout au plus l’impression d’un déguisement, qui nous égaie sans