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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/31

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que nous courions le moindre danger de nous y méprendre. On peut aller plus loin, et on peut dire que cette naïveté ou cette bonhomie fait l’un des charmes de la traduction, et ce qui le prouve, c’est l’échec de toutes les tentatives que l’on a faites pour la rajeunir. Quels moyens, en effet, a-t-on employés pour ce « rajeunissement ? » On a rectifié quelques contresens ; on a supprimé les « huissiers à verge » et les « maîtres des requêtes » qui s’étaient glissés parmi les anciens ; et on a enfin reconstruit la phrase d’Amyot dans le goût du XVIIe ou du XVIIIe siècle. C’est une singulière façon d’entendre la « couleur locale, » et Amyot n’y devait point gagner, ni Plutarque, ni la vérité.

La phrase d’Amyot est un peu longue, avec des articulations un peu lâches, mais elle ne gagne rien à être raccourcie, parce que sa longueur est l’image de la manière de sentir et de penser qui est celle d’Amyot. Avec fidélité, et d’ailleurs avec plus de souplesse que d’art, elle imite ce qu’il y a de successif, et parfois d’un peu hésitant dans la démarche d’une pensée qui se cherche, et elle semble naturelle de ce que cette hésitation même laisse entrevoir de conscience et de sincérité. Amyot est parfaitement naturel, et de tous ses mérites, ce naturel n’est pas celui que ses contemporains, qui sont les contemporains de Ronsard et presque de Rabelais, ont le moins apprécié. Nous l’avons vu, pour lire Rabelais et Ronsard, il faut que l’on commence, il a fallu, même en leur temps, que l’on commençât par en faire une espèce d’apprentissage. Non hic est piscis omnium ! Rien de semblable ici. C’est de plain-pied qu’on entre en commerce avec Amyot, et tout de suite on est comme chez soi dans son Plutarque. C’est que ce style est celui de la conversation quotidienne. Si l’on était tenté de le trouver savant ou pédantesque, c’est qu’il n’est question dans ces vingt volumes que d’antiquités, — Alterthumskundt, disent les Allemands, — choses grecques ou latines, dont les vieux noms surprennent d’abord le lecteur ignorant, et il est vrai qu’on peut l’accuser de prolixité, mais c’est le cas de dire que la faute en est à Plutarque, et la prolixité ne déplaît pas toujours. Et puis, et surtout, ce style est « français » dans le choix de ses mots comme de ses tournures ; il est modeste, il est « bonhomme. » L’écrivain y conquiert nos sympathies à sa personne, même et précisément en ne s’y montrant jamais. Il ne resterait, après cela, qu’à savoir si de telles qualités, qu’il faut qu’on estime à leur prix, suffisent pour égaler, dans la succession de nos grands