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historien ressemblait à un procureur général, chargé d’entamer pour le compte de la Prusse le procès de l’ancienne Allemagne. Doctoralement, dans la première audience qu’il eut du roi Max, il traita de la politique religieuse qu’avait suivie, lors de la guerre de Trente Ans, l’électeur Maximilien Ier. C’était une politique catholique, cléricale, disait-il sans doute : le professeur et le Roi tombèrent d’accord pour la condamner. De ce jour, entre eux, un pacte fut conclu, et Sybel, sous le patronage imprévu du Wittelsbach, devint à Munich un champion de la Réforme et un agent des Hohenzollern. « Être ultramontain et patriote allemand sont deux choses qui s’excluent, » écrivait-il dès 1847 ; tout son enseignement à Munich s’inspira de cette maxime. Au- tour de lui, à l’instigation du monarque, une école d’historiens se forma. On s’acharna sur l’histoire d’Autriche, on entassa contre les Habsbourgs de copieux dossiers ; il fut à la mode d’étudier le mal qu’avaient fait à la « vraie vie germanique » leurs « principes jésuitiques ; » on catalogua leurs péchés contre l’Allemagne, et l’érudition historique devint la servante de la politique prussienne.

Ce qui s’édifiait à Munich, par les soins de Sybel et de ses élèves, ce n’était rien de moins qu’une nouvelle philosophie de l’histoire allemande, qui concluait, politiquement parlant, à l’éviction de l’Autriche. Les « historiens objectifs, impartiaux, et qui n’ont ni sang ni nerfs, » étaient priés de se taire. En 1856, dans un discours académique, Sybel les anathématisait. Ce qu’il prêchait ouvertement, c’était l’étroite union de la politique et de la science. À la génération d’historiens qu’avait produite le romantisme, et qui prenait attrait aux prestigieux souvenirs du moyen âge, succédait, moins de dix ans après la mort de Goerres, dans le cadre romantique aménagé par Louis Ier, une génération dont Frédéric II, roi de Prusse, était le héros, et qui, sans nulle honte, affichait son antipathie pour la majesté du vieux Saint-Empire. Sybel aimait outrager cette majesté. Tout jeune encore, en 1837, dans une thèse sur Jordanès, il opposait l’idée nationale, dont cet écrivain goth s’était fait l’apôtre, aux rêves de domination universelle des empereurs du moyen âge. Professeur écouté, directeur de conscience de la Bavière savante, on l’entendait, en 1859, reprocher à l’historien Giesebrecht ses complaisances pour l’impérialisme chrétien, et flétrir la conception même du Saint-Empire au nom de ce qu’il appelait les intérêts