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reliques que reproduit la chanson de geste, le rôle d’un envoyé de Girard chargé d’accompagner le prieur et les trois moines dans leur voyage d’outre-mer ; — ou bien il n’a été introduit dans le roman que sur le tard, par l’auteur de la chanson renouvelée, lequel aura pris son nom dans le texte monastique Badilon-Saint-Maximin d’Aix, et aura feint que ce moine valeureux avait été d’abord dans le siècle un bon chevalier ; — ou bien c’est l’inverse : il était dans la chanson de geste primitive un bon chevalier, que l’auteur du texte monastique Badilon-Saint-Maximin d’Aix aura transformé en un moine valeureux. — Quelque explication que l’on préfère, on voit ici, une fois de plus, le travail des moines et le travail des jongleurs se greffer l’un sur l’autre, se pénétrer réciproquement et se confondre. Mais peut-être aussi bien, comme le veut M. Antoine Thomas, n’y a-t-il qu’une ressemblance accidentelle et extérieure de noms entre le Bèdelon des jongleurs et le Badilon des moines[1], auquel cas ils cessent tous deux de nous intéresser. Entre ces quatre hypothèses, ne voyant nul moyen de choisir, nous ne choisirons pas.

Ce personnage écarté, un fait considérable résulte de cette discussion : en cette courte période de cinquante années où le pèlerinage de Vézelay, à peine organisé, se créait peu à peu sa légende, avant même qu’eût germé l’idée de l’apostolat de Marie et de Marthe en Provence, déjà un jongleur chantait de Girard et de Berte considérés comme les deux bienfaiteurs à qui l’on devait le corps de la sainte, déjà une chanson de geste servait à propager la plus ancienne des fictions du monastère.

Pour approcher davantage des origines de notre légende et pour en saisir l’embryon même, posons-nous cette question encore : d’où a pu venir aux moines de Vézelay l’idée première d’introduire le comte Girard en cette aventure ?

Certes, c’est qu’ils lisaient son nom sur leurs plus anciens parchemins, dans Pacte de fondation de l’abbaye, dans la lettre que lui avait adressée le pape Nicolas Ier, etc. Mais il y a mieux : s’ils lui ont attribué l’invention des reliques de la Madeleine, c’est

  1. C’est, à mon sens, la moins probable des quatre explications. A Leuze (entre Ath et Tournai), on vénérait saint Baidilon, forme qui rappelle plutôt le Bèdelon de la chanson : « In vico qui dicitur Lutosa... vir venerabilis Baidilo requiescit, qui corpus S. Mariae Maddalenae de Hierusalem in Burgundiam in loco Vercelliaco attulisse fertur. » (Gesta episcoporum Cameracensium, dans les Mon. Germ. hist, Scriptores, t. VIII, p. 464 ; cf. p. 532.)