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voilà un trait essentiel : c’est la contrée sise au rapprochement des deux mers. » Pour passer de l’une à l’autre, le chemin nécessaire est la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, puis la vallée de la Saône ; pour atteindre ensuite la vallée de la Seine, il n’y a qu’un obstacle : il faut passer entre l’extrémité des Vosges et l’extrémité du Massif Central. Le Massif Central se termine au Nord par une protubérance qui est le Morvan ; mais le Morvan ne présente de relief véritable que dans le Sud. Il y a toujours eu aux environs de Chalon-sur-Saône ou de Chagny des voies pour aller directement au Nord du Morvan. « C’est la célèbre région de passage qui fait communiquer la Méditerranée avec la Manche et la mer du Nord et qui a cimenté les deux parties de la France. » Avant la construction des chemins de fer, la grande voie de communication entre les vallées de la Seine et de la Saône était par Paris, Auxerre, Avallon, Chagny. Lors de l’établissement de la voie ferrée de Paris à la Méditerranée, c’est l’importance commerciale de Dijon qui a provoqué une déviation anormale et, me dit-on, passagère. Comme Autun, dont l’importance ne s’explique que par là, Vézelay était au carrefour des grandes routes de France : de là, pour une part, le succès du pèlerinage de la Madeleine.

Les pèlerins y venaient de toutes les directions. Un seul de ces flots s’écoulait par Châtillon-sur-Seine, donc par Pothières : celui des pèlerins qui venaient de l’Est, de Metz, de Toul, de Nancy, par la route qui passe par Nancy, Neufchâteau, Chaumont, Châtillon : de l’étape de Châtillon ils s’acheminaient par Laignes et Nuits-sous-Ravières, et gagnaient Vézelay soit par Avallon, soit par cet Arcy-sur-Cure, qui peut-être a donné son nom à l’Arsen de la chanson de geste.

En outre, l’abbaye de Pothières se trouvait sur la voie qui menait d’autres pèlerins vers les sanctuaires, illustres entre tous, de Rome et de Jérusalem. Le nom de Roussillon est inexpliqué[1] :

  1. Girarz de Russilun li vielz figure dans la Chanson de Roland (v. 798, 2409), où il est l’un des douze pairs ; il est tué au v. 1896. Est-ce le même personnage que le héros de Valbeton ? Si l’on répond oui, et que l’on écarte l’hypothèse d’une simple rencontre de noms, deux explications seulement semblent possibles. Ou bien c’est le poète du Roland qui a retiré de sa pieuse retraite, pour le mener à Roncevaux, notre Girard de Roussillon vieilli : auquel cas son surnom « de Roussillon » reste un mystère. Ou bien, c’est l’inverse : le Girard de Roussillon du Roland y était, comme Engelier le Gascon, comme Gerin et Gerier, comme tant d’autres, un comparse, un personnage sans histoire ; il n’y était rien qu’un nom, illustre et disponible ; les jongleurs qui voulaient chanter le Girard sans surnom de Pothières lui ont attribué le surnom de ce personnage de Roland ; les moines ont suivi, et ce serait un nouvel exemple du mélange constant des inventions jongleresques et des inventions monastiques. — On peut noter qu’un Girardus de Russelun a pris la croix en 1095 (Mathieu de Paris, Historia Anglorum, éd. de sir Fr. Madden, t. I, pp. 57, 71, 120). Ce seigneur de Roussillon doit-il son prénom de Girard à un simple hasard, ou à la célébrité épique de Girard de Roussillon ? Si ce personnage avait vécu un siècle ou deux plus tôt, les faiseurs d’identifications historiques n’eussent pas laissé échapper l’aubaine : ils auraient fouillé sa biographie et démontré qu’il avait dû être nécessairement l’objet de chants épiques anciens, plus tard confondus avec ceux qui célébraient le duc Girard, régent du royaume de Provence.