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et de nier « le droit de la vocation. » Vous trouverez dans Darwin et dans Prosper Lucas les raisons physiologiques et psychologiques très fortes qui nous obligent à donner du jeu aux vocations ; dans les races les plus stables et les plus uniformes, il se produit des combinaisons exceptionnelles, des individus singuliers et, selon le mot de Darwin, « des variétés individuelles. » C’est pour ces gens-là que Napoléon a si bien dit : « La carrière est ouverte aux talens. » Le vrai principe politique est qu’il faut utiliser toutes les forces, celle de l’hérédité et celle de l’individualité.

Agréez, monsieur, avec mes remerciemens, l’assurance de toutes mes sympathies et de toute ma considération.


À Monsieur Georges Saint-René Taillandier.


Boringe, Menthon-Saint-Bernard, 6 août 1881.
Monsieur,

Sur la première question[1], je suis tout à fait d’accord avec vous. Il est certain que l’idée de l’État, telle qu’elle est formulée dans le Contrat social, n’a été adoptée par les hommes de 89 et de 93 que parce qu’elle était conforme à beaucoup de leurs instincts secrets.

Notre société contemporaine a des racines historiques et psychologiques. Les premières sont visibles dès Philippe le Bel ; les secondes apparaissent dès les premières œuvres de la littérature française avant Joinville. Je tâcherai de montrer cela dans mon dernier volume.

Sur la seconde question[2], je ne diffère de vous qu’en partie. Certainement nul historien ou psychologue ne peut se flatter d’épuiser le total infini des idées, sentimens, passions, circonstances et conditions qui composent la vie d’une nation donnée à une époque donnée. Mais, dans les choses morales comme dans les choses physiques, il y a des valeurs de différens ordres ; certains caractères ont une valeur supérieure et décisive, parce qu’ils entraînent après eux et forcément une masse énorme d’autres caractères ; je les appelle générateurs ;

  1. La permanence, sous l’ancien régime comme sous la Révolution, des traditions politiques françaises, centralisation administrative, omnipotence de l’État, etc.
  2. Le déterminisme.