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sciences morales le même rôle que la mécanique dans toutes les sciences physiques. Elle est la science abstraite et centrale dont les autres ne sont que les applications ; ce qui ne veut pas dire que les autres doivent être faites déductivement, à la façon du XVIIIe siècle.

Je vous remercie particulièrement de ce que vous avez dit page 148. Mon Lut n’est pas l’histoire narrative, mais l’exposé des forces qui produisent les événemens. Ces forces sont les divers groupes sociaux, avec leurs besoins, leurs passions, leurs idées, etc. Partant, ce que je dois présenter ce ne sont pas toujours les personnages ou événemens connus et célèbres, ce sont les faits généraux, les situations et sentimens des groupes, et pour cela les individus moyens, les scènes locales, les spécimens significatifs sont mes documens principaux.

Sur un point (fin de 153 et 154), je vous demande la permission de ne pas accepter votre critique. Je n’ai jamais imaginé que, de la noblesse française de 1789, la Constituante eût pu ou dû faire une aristocratie à l’anglaise. Je pense seulement, après avoir lu les vingt volumes des procès-verbaux des assemblées provinciales, que, dans l’aristocratie provinciale d’alors (noblesse, clergé, parlementaire, haute bourgeoisie), il y avait des élémens précieux pour faire une classe gouvernante, des administrateurs sans traitement, des conseillers locaux du pouvoir central, et même des représentans de la province auprès du pouvoir central. Je n’ai pas précisé au-delà ; à distance, cela est trop facile ou trop difficile.

Si j’avais le plaisir de vous rencontrer (un très grand plaisir), je tâcherais d’obtenir de vous une définition de ces fameux principes de 89 si vagues. Comme toutes les abstractions de ce genre, ils ont le sens qu’on veut leur donner ; mais, si l’on cherche le sens exact dans lequel ils ont été pris par leurs promulgateurs, on trouve qu’ils se ramènent tous au dogme de la souveraineté du peuple entendu au sens de Rousseau, c’est-à-dire à la doctrine la plus anarchique et la plus despotique, d’une part au droit d’insurrection de l’individu contre l’Etat le mieux gouverné et le plus légitime, d’autre part au droit d’ingérence de l’Etat dans les portions les plus intimes de la vie privée. C’est l’inverse des idées de Locke, si sages. Nous sommes infectés jusqu’aux moelles de ce vieux poison ; chez nous, tout manque, le respect de l’Etat et le respect de l’individu ; nous sommes tour