Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

François dans les annales de la stigmatisation ; elle naquit en 1660 à Mercatello, dans le duché d’Urbin, et elle était encore toute jeune lorsque sa mère mourante la fit venir avec ses quatre sœurs près de son lit et plaça chacune d’elles sous la protection d’une des cinq plaies de Jésus. Véronique, vouée à la plaie du côté, en fit dès lors l’objet de ses méditations continuelles et lorsqu’elle atteignit ses dix-sept ans, elle entra comme novice au monastère des Capucines de Citta del Castello.

Elle avait trente-trois ans, et elle vivait depuis longtemps dans l’ascétisme et la contemplation lorsqu’elle vit, dans une extase, Jésus lui offrir un calice d’amertume. Bien qu’elle fût décidée à accepter ce calice, elle éprouva, dit son biographe Salvatori, « de grandes répugnances dans la partie inférieure de son âme. » Elle ne put en effet sans de douloureux combats, soumettre sa nature à son désir de souffrance : « Je ne m’y fiais point encore, dit-elle dans son Journal, car je sentais qu’elle n’était pas matée. Quant à ma volonté, elle a toujours souhaité vivement de boire le calice de mon Sauveur, d’en savourer l’amertume ; enfin d’accomplir la volonté de Dieu[1]. »

A partir de ce jour, les visions du calice se répètent et obsèdent Véronique ; quelquefois elle le voit déborder sur elle et elle se sent pénétrée d’une flamme qui la consume ; d’autres fois, tandis qu’elle mange, elle voit une goutte de liqueur tomber du calice sur ses alimens et cette goutte se brise pour se transformer en épées étincelantes qui lui percent le cœur de part en part.

Ce ne fut qu’après bien des obsessions et des luttes que Véronique se sentit capable de boire à la coupe d’amertume et dès lors commencèrent pour elle les tourmens de la Passion. Le 4 avril 1594, pendant la semaine sainte, Jésus lui apparaît couronné d’épines. « Mon bien-aimé, lui dit-elle, daignez me faire part de ces épines, c’est à moi qu’elles sont dues et non à vous, la Sainteté même[2]. » A peine a-t-elle achevé ces paroles que Jésus lui répond avec un regard chargé de tendresse : « Oui, ma bien-aimée, je viens pour te couronner. » « Alors, dit-elle, il ôta sa couronne de dessus sa tête et la mit sur la mienne ; la douleur que je ressentis en ce moment fut telle que je ne me souviens pas d’en avoir éprouvé de plus grande ; mais Notre Seigneur

  1. Salvatori, Vie de Véronique Giuliani, p. 110.
  2. Journal, ibid., p. 120-122.