Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exagérations, épouvantée de l’incertitude, elle aura de nouveau la crainte, nullement chimérique, hélas ! des désastres qu’une révolution amènerait : ne vous découragez donc pas et laissez la presse étaler ses provocations et ses ordures ; plus il y en aura, mieux cela vaudra A la fin, le pays lui-même se chargera d’arrêter la saturnale. Je sens déjà autour de moi le commencement de la révolte et de l’indignation. Quoi qu’il arrive de cet échange d’idées, je vous serai toujours très reconnaissant, Sire, de votre pensée bienveillante à mon égard, et j’aurai certainement l’occasion de vous le témoigner. Je vous prie, Sire, d’agréer l’assurance de mes sentimens respectueux et dévoués. »


VI

Cette lettre fut expédiée par Kratz à Chasseloup qui devait la remettre à l’Empereur. Duvernois, ne voulant pas se laisser distancer, obtenait dans le même moment de Napoléon III d’être envoyé lui-même à Saint-Tropez pour me ramener à Compiègne. Il était persuadé que je ne résisterais pas au charme de l’Empereur et que, de près, je céderais tout ce que je refusais de loin. Il arriva avec Maurice Richard le 27 octobre à une heure du matin. Je pouvais résister à l’invitation des ministres ; il eût été inconvenant d’opposer un refus, à l’appel du souverain. Le 29, à midi, je me mis en route avec Maurice Richard, Kratz, Duvernois, et le dimanche 31, à huit heures du matin, j’étais à Paris. Le jour même de mon départ arrivait à la Moutte le billet suivant de Girardin : « Ce n’est pas pour répondre à votre grande et importante lettre que je vous écris, c’est pour vous répéter : Quelle que soit la personne qu’on vous envoie, refusez et ne venez pas. N’acceptez et ne venez que si M. Magne est chargé de faire un cabinet, alors vous discuterez avec lui à quelles conditions vous consentirez à en faire partie, ou que si l’Empereur vous charge de lui proposer un ministère dont vous serez le chef. Sinon, non (28 octobre). »

De la gare de Paris, Duvernois expédia à l’Empereur un télégramme contenant ces mots convenus : « Je suis de retour. » A peine débarqué, je reçus la visite de Chasseloup. Il m’avoua qu’il n’avait, pas envoyé à l’Empereur ma lettre-programme parce qu’il l’avait trouvée trop nette, et il me la rendit.