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III

Cochin, mon ami de l’École de droit, très lié avec Daru, survint à ce moment. Il venait me dire que le Centre Gauche était désireux d’entrer dans mon cabinet : « Voulez-vous que je négocie ? — C’est inutile, répondis-je, tout est fini. » Il devint pâle et ne dissimula pas son regret. Ses amis avaient cru me paralyser par leur abstention : voyant que je pouvais me passer d’eux, ils comprenaient qu’ils ne feraient pas bonne figure en ne prenant point part à l’accomplissement d’une réforme à laquelle la faveur publique était assurée.

Je considérais donc tout comme terminé lorsque, le 1er janvier, je reçus une lettre de Magne : « Mon cher monsieur Ollivier, j’ai été très touché de votre aimable billet, je vous en remercie. La fondation de l’Empire libéral est dans les vœux du pays ; j’y ai travaillé avec conviction et dévouement, je suis disposé à m’y consacrer encore de tout cœur. Mais c’est une œuvre considérable, son succès est le point capital, rien ne doit être négligé pour y attirer les meilleures influences. Or, j’ai appris que des conférences avaient été tenues hier entre les principaux membres du Centre Droit et du Centre Gauche, qu’un plus grand nombre de portefeuilles disponibles, notamment celui des Finances, auraient facilité les arrangemens. Réfléchissez bien tant que rien n’est encore définitivement engagé. La considération des personnes et des situations n’est que secondaire, le moindre sacrifice que je puisse faire à la cause commune est de laisser le champ libre. De près comme de loin, on me trouvera au nombre de ses partisans les plus convaincus et les plus zélés. Votre tout dévoué (1er janvier). »

Chevandier arrivait en ce moment. Nous allons tous deux chez Magne ; nous le remercions de son abnégation et lui déclarons que nous ne l’acceptons pas : « Votre portefeuille est celui que nous voulons le moins rendre vacant. » Alors il se répand en récriminations imprévues : « On a mal négocié ; on est resté dans l’équivoque ; il faut recommencer plus sérieusement les pourparlers, réunir ces messieurs, leur faire des offres nouvelles. » Je réponds, vexé : « Il n’y a pas eu d’équivoque, monsieur. » Magne, sans me laisser continuer, quittant son accent mielleux, me dit sèchement : « Je refuse de rentrer au ministère si vous