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grâce à vos constans efforts, l’Empereur vient d’inaugurer, et je saisis cette occasion pour vous renouveler, avec l’assurance de mes meilleurs sentimens, celle de ma haute considération. »


IX

J’aurais préféré ne pas citer tous ces témoignages auxquels je pourrais en ajouter bien d’autres parce qu’ils contiennent des appréciations trop élogieuses, si je ne trouvais utile à la cause de la vérité d’établir que la plus grande partie de l’élite intellectuelle de l’Europe considéra mon avènement au ministère, non comme l’heureuse fortune d’un ambitieux qui se donne, mais comme l’acte de courage d’un bon citoyen qui se dévoue à la liberté de son pays. Cependant, qu’on ne croie pas que j’aie éprouvé la moindre griserie. Ceux qui, dans ce temps-là, m’ont approché, m’ont toujours trouvé sombre et préoccupé, nullement abandonné à l’enivrement du succès. Indépendamment du sentiment de l’effroyable difficulté de la tâche, dont, croyant la paix extérieure assurée, je ne voyais pas même tous les dangers, je me rendais compte de la fragilité de l’approbation unanime qui nous accueillait. On n’est jamais plus faible que lorsqu’on paraît soutenu par tout le monde. En réalité, on ne l’est par personne. Une approbation de ce genre n’est qu’une approbation d’attente, à laquelle succède, presque toujours, un lendemain orageux. Pendant qu’on me congratulait, je voyais déjà les petits nuages en formation de tous les côtés. L’hostilité de la Gauche était aussi ouverte qu’ardente. Ernest Picard, cédant aux inspirations de sa conscience et de son bon sens, peut-être au souvenir de notre vieille affection, s’était, dans l’Électeur libre, déclaré prêt à seconder le ministère, « s’il ôtait aux institutions la précarité que leur donnait l’exercice du pouvoir constituant par le Sénat, et s’il établissait un pouvoir judiciaire indépendant, s’il ne laissait plus la force maîtresse des droits des citoyens. » Avant même ces réformes opérées, il se risquait à féliciter « les hommes sincères qui, ne pactisant pas avec le pouvoir personnel, avaient consenti à mettre la main aux affaires. » Ce langage honnête souleva dans le public démocratique une protestation furieuse. « Il ne peut subsister de doute pour personne, écrivait la Marseillaise, le ministère Ollivier est la dernière carte de l’Empire. La question se réduit donc à ceci : M. Ernest Picard a-t-il été