Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pacha a des yeux d’Arabe, fauves, profonds et mélancoliques, parfois presque ternes quand rien ne passionne sa physionomie, singulièrement vifs au contraire, luisans, durs même par momens, quand les paupières soudain agrandies laissent percer un éclair d’impatience ou d’indignation. L’affabilité est, pour l’Inspecteur général, un moyen de gouvernement, mais ses colères doivent éclater, parfois, avec d’autant plus de violence qu’il est souvent obligé de les refouler. D’abord froid, puis bientôt s’animant dès qu’il parle de son œuvre, des méfaits des Comitadjis, des mensonges et de la crédulité de la presse européenne, Hilmi est le plus brillant avocat, et le plus convaincu, de la cause de son maître. Il fait montre, pour l’action réformatrice et pacificatrice, d’une grande bonne volonté qui doit être sincère : n’est-ce pas la Turquie surtout qui a, en définitive, à souffrir de ces troubles que les puissances ne lui permettent pas d’étouffer par la force ? La voix de l’Inspecteur général devient plus vibrante, son geste plus bref, plus saccadé, son regard plus aigu à mesure qu’il dépeint les misères de l’insurrection, le gouvernement obligé de dépenser chaque jour des sommes énormes, d’entretenir sur le pied de guerre des forces considérables parce qu’il plaît, non pas à la masse de la population, mais à quelques agitateurs, de provoquer une révolution en Macédoine.

« On s’apitoie, dit-il, sur les chrétiens et on n’a pas tort, mais le pauvre paysan turc, qui donc en parle, lui qui souffre sans se plaindre, qui, sans murmurer, quitte son champ qu’il aime, sa famille, son village pour rester de longs mois au service militaire, garder les voies ferrées, poursuivre les bandes, obéir au Sultan ? C’est la ruine de la Macédoine ! Ces quatre-vingt-dix mille hommes maintenus à l’armée, c’est une perte sèche, car ils dépensent, ne produisent rien et ne se reproduisent pas : sans les troubles, dix mille enfans de plus auraient pu naître chaque année et seraient devenus de loyaux sujets de Sa Majesté. Que veut donc l’Europe ? Elle veut des réformes, soit ; mais qu’elle nous donne le moyen de les faire, et vous savez avec quelles hésitations, après quels atermoiemens elle nous accorde cette augmentation de 3 pour 100 des droits de douane dont les trois quarts doivent être affectés à solder les réformes. On ne peut pas exiger cependant que la Turquie se ruine tout entière pour favoriser trois vilayets et encourager l’insurrection en lui donnant une prime. La France, la première, a consenti, sans