Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaire de Saint-Georges, le Tsar en conféra la première classe au roi Guillaume. « Acceptez-la, lui télégraphia-t-il, comme une nouvelle preuve de l’amitié qui nous unit, amitié fondée sur les souvenirs de cette année à jamais mémorable, où nos armées réunies combattaient pour une cause sainte qui nous était commune[1]. » La distinction accordée au Roi était en effet unique ; personne ne l’avait obtenue ; le Tsar lui-même ne portait le cordon que comme Grand-Maître héréditaire. Guillaume comprit la portée de cette faveur ; il en fut « anéanti de bonheur, » écrivit-il à son frère, et le marqua dans son télégramme de remerciemens : « Profondément touché, les larmes aux yeux, je vous remercie d’un honneur auquel je n’osais m’attendre : mais ce qui me rend doublement heureux, ce sont les termes dans lesquels vous me l’avez annoncé. J’y vois une preuve nouvelle de votre a initié et le souvenir de la grande époque où nos deux armées combattaient pour la même sainte cause (8 décembre 1869). » Il accompagnait ses remerciemens de l’envoi de l’ordre pour le Mérite. Les agens russes, effrayés de l’effet foudroyant de cette démonstration à Paris et dans les États du Sud, s’efforcèrent d’en amoindrir l’impression. Schouvalof essaya de rasséréner le pauvre Fleury tout décontenancé : — L’acte du Tsar avait été spontané ; il n’avait pris l’avis de personne ; il n’avait obéi qu’à l’amour filial qu’il professait pour son oncle ; ce n’était pas un acte politique ; le Tsar n’en avait pas mesuré l’importance ; les télégrammes échangés par les souverains et qui évoquaient des souvenirs néfastes pour la France, étaient une maladresse, non une préméditation. La reine Olga, de passage à Munich, exprima ses regrets de l’acte et de la lettre du Tsar ; pour l’atténuer, elle l’attribua aux souvenirs de jeunesse de l’empereur Alexandre. Hohenlohe prétendit qu’Alexandre n’avait eu en vue, en affirmant ses bons rapports avec la Prusse, que de faire cesser l’animosité de sa famille contre cette puissance[2]. Mais toutes ces mauvaises raisons ne réussirent pas à détruire la portée vraie de la démonstration. Elle signifiait : « Ne croyez point, parce que Napoléon III m’a envoyé un de ses grands officiers et que je l’ai reçu avec distinction, ne croyez point que j’aie cessé d’être l’ami fidèle, l’allié constant de mon cher oncle. » Et lui-même dévoilait son intention véritable à un

  1. Schneider, l’Empereur Guillaume, t. II, p. 106.
  2. Cadore, 27 décembre 1869.