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cette annexion entraînerait la guerre avec la France, mais puisque tôt ou tard on serait obligé d’en venir là, pourquoi ne pas s’y décider immédiatement et dissiper le cauchemar qui pesait sur l’Allemagne ? L’armée surtout, arrivée au dernier degré d’entraînement d’où elle ne pouvait que déchoir, ne contenait pas son désir passionné de se mesurer avec nous. Dans les exercices de tir, on plaçait comme cible des petits pantins figurant des soldats ; pour qu’aucune pensée d’hostilité contre aucune puissance ne se manifestât en ces exercices, le règlement établissait que les pantins seraient des soldats prussiens ; or, contrairement à ce règlement, on en avait fait des zouaves français[1].

Bismarck, plus que ceux qui le poussaient au combat, savait que l’Unité allemande ne se consommerait que par une guerre avec la France. « Déjà, depuis la guerre danoise, a dit Sybel, il n’avait eu aucun doute sur ce point que le développement allemand qui commençait là, ne pourrait pas s’achever sans une lutte avec la France[2]. » et lui-même, dans ses Souvenirs, a confirmé ces propos : « J’admettais comme absolument certaine, dans la voie de notre développement national à venir, tant au point de vue intérieur qu’à celui de l’extension au-delà du Mein, la nécessité de faire la guerre contre la France[3]. » L’observation de ce qui se passait dans les États du Sud confirmait cette pensée. Elle le hantait. De plus en plus il lui paraissait évident que la continuation de la paix était un obstacle invincible à l’Union du Nord et du Sud, car chaque jour fortifiait la ferme volonté des deux royaumes de rester indépendans.

Ainsi, pas d’annexion volontaire à espérer. La force seule pouvait l’opérer, et cette force n’était pas au pouvoir de la Prusse. A sa première violence se seraient levées contre elle les armes de la France, peut-être celles de l’Autriche et de son amie la Russie. Une guerre contre l’étranger faite en commun pouvait seule rattacher les États du Sud et les fondre dans l’Unité. « Si des complications belliqueuses, dit l’historien Muller[4], ne survenaient pas, et ne donnaient pas un cours plus rapide au

  1. Mémoires du général Hohenlohe-Ingelfeld, t. III. Stoffel, qui, au récit du général, assistait à ces exercices, ne signale pas le fait dans ses rapports, sans doute parce que cela eût contredit ses assurances sur les dispositions pacifiques du gouvernement prussien.
  2. Sybel, t. VI, p. 38.
  3. Bismarck, Souvenirs, t. II, p. 61.
  4. Muller, Histoire des temps présens, année 1868, n° 2.