Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

généreux cochon n’était plus qu’une anomalie, un phénomène d’atavisme désormais bien rare. Presque partout, la domestication a eu pour effet d’étouffer, ou encore de détourner au profit de l’homme, l’instinct naturel de bonté et de dévouement que la nature a mis dans le cœur des bêtes. Et c’est avec une véritable tristesse que j’ai lu, quelques pages plus loin, la description des différentes façons dont l’homme a, précisément, imaginé d’exploiter l’affection, que lui ont vouée les animaux domestiques, pour employer ceux-ci à tromper et à perdre d’autres animaux. Il y a, par exemple, en Angleterre, des chasseurs qui contraignent des chiens à jouer une comédie tout à fait monstrueuse. Derrière un écran, à l’entrée d’un canal donnant sur une pièce d’eau où sont descendus des canards sauvages, un chien, tout à coup, se met à sauter, à danser, à exécuter des pas longuement étudiés. Puis, peu à peu, on repousse l’écran, le long du canal, pendant que le chien continue ses gambades ; et les pauvres canards, attirés par une curiosité irrésistible, s’engagent dans le canal, à la suite du danseur, jusqu’à un endroit où les attendent des filets, dont ils ne sortent plus. Souvent même, par un raffinement de cruauté, le chien est déguisé en renard : car on a observé que cet éternel ennemi des canards exerçait sur eux un pouvoir mystérieux de fascination. « Dès l’instant où ils l’aperçoivent, ils ne peuvent s’empêcher de le considérer ; et lorsqu’il se retire, comme fait le chien costumé en renard, ils nagent à sa suite, le long du canal, pour voir où il va, ou peut-être pour s’assurer qu’il ne se retourne pas vers eux. » Et il y a aussi des chasseurs qui emploient des canards apprivoisés pour attirer les canards sauvages. Ceux-ci, à la vue d’autres oiseaux de leur espèce, sur l’eau d’un étang, ne manquent point d’y descendre eux-mêmes, poussés par un touchant instinct de fraternité que connaissent et qu’utilisent tous les preneurs d’oiseaux. Aux Indes, des femelles d’éléphans apprivoisées servent à la capture des éléphans mâles. La nuit, ces femelles sont conduites dans la jungle, où elles attirent le mâle sauvage, et, par toute sorte d’habiles artifices, font en sorte que le pauvre gros animal ne remarque point la présence de l’Indien qui, pendant ce temps, s’apprête à lui lancer, autour d’une patte, une corde ayant son autre bout attaché au cou de la femelle.


On se demandera sans doute comment des bêtes en captivité peuvent, ainsi, prendre l’habitude de collaborer activement à la mise en captivité d’autres bêtes de leur race. Une telle conduite nous apparaît immédiatement comme une trahison, ou, tout au moins, comme la marque d’une soumission bien servile. Mais la vérité est que, pourvu seulement qu’un