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IX

En même temps que s’achevait ainsi l’armement du théoricien, l’organisation sociale des fidèles, de 1860 à 1870, prenait un rapide développement. Des associations chrétiennes sociales s’étaient lentement formées dans certaines paroisses pour les travailleurs de l’usine ; jusqu’en 1868, elles étaient endettées ; cette année-là, à Crefeld, trois d’entre elles s’unirent et prirent pour organe une petite revue fondée par le prêtre Schings, d’Aix-la-Chapelle, et qui s’appelait les Feuilles chrétiennes sociales ; cette discrète rencontre de quelques prêtres et de quelques ouvriers sous les auspices d’un périodique encore inconnu donna le branle à un vaste mouvement de fédération. A tous ces petits essaims sociaux, timidement fondés par des vicaires novices, il fallait un programme, une orientation, un contact : les Feuilles chrétiennes sociales servirent de lien. On s’enhardit, on fit une poussée ; elle fut tout de suite si vigoureuse que les deux forces organisées de l’Eglise d’Allemagne, la hiérarchie épiscopale d’une part, le comité directeur des congrès catholiques d’autre part, inscrivirent la question ouvrière, en 1869, à l’ordre du jour de leurs délibérations.

L’épiscopat, réuni à Fulda au début de septembre pour préparer les travaux du concile du Vatican, laissa la théologie quelques instans pour s’occuper du prolétariat. Ketteler présenta le rapport, qui fut approuvé. Il réclamait, entre autres réformes, la participation aux bénéfices, des augmentations progressives du salaire en raison du nombre d’années de service, la sollicitude des fabricans pour les ouvrières mères de famille, l’intervention de l’Etat législateur en vue de l’interdiction du travail précoce des enfans, de la limitation des heures de travail, de la fermeture des locaux insalubres, enfin l’ingérence des inspecteurs d’Etat pour contrôler l’exécution des lois sociales. De son côté, l’Eglise ne voulait pas rester inerte. Ketteler, dans un très beau langage, constatait qu’à l’heure présente l’action pastorale, avec ses moyens traditionnels, était insuffisante pour avoir prise sur la vaste masse ouvrière : il fallait que l’Église, soucieuse de cette masse, cherchât d’autres facilités d’accès, il fallait qu’elle les trouvât. En raison de l’antagonisme entre les principes chrétiens et les idées d’absolutisme économique, l’Eglise devait