même compositeur : Dans les steppes de l’Asie centrale ; un autre encore, de Balakiref, qu’on pourrait appeler une des œuvres classiques de l’exotisme russe et qui porta le premier, avant l’opéra de M. Bourgault-Ducoudray, le nom de Thamara. Quel orientaliste enfin que M. Rimsky-Korsakof ! Parmi les maîtres purement russes, dont l’influence étrangère n’a point adultéré le génie, celui-là survit seul. De l’idéal qui leur fut commun, il reste le gardien unique, mais non le moins glorieux. Qu’il reçoive ici l’hommage que, sans lui, nous ne pourrions porter que sur des tombeaux. A l’entendre, à le voir, sérieux, calme, presque impassible, conduisant, avec je ne sais quel air de nonchalance et de fatalisme, un orchestre qu’il semble n’écouter qu’en songe, on songe soi-même à certaines figures de poètes lointains, anciens et mystérieux. Musicien des royaumes étranges, de celui des fleurs et de celui des eaux, musicien des fées et des génies, il l’est aussi des khalifes et des sultanes. Son œuvre est pareil à quelque somptueux bazar d’Orient : bazar des tapis et des armes, des faïences d’azur et des aiguières d’or. C’est là, parmi les rayons et les parfums, qu’on aime, en fermant les yeux, à se représenter l’auteur d’Antar et de Scheherazade ; c’est là que l’on croit l’entendre, tel un étrange rapsode, nous conter, par la symphonie aux mille et une voix, mille et un récits merveilleux.
Elle mêle, cette musique de Russie, elle mêle aux poèmes les paysages. Paysages orientaux, mais parfois aussi paysages russes, très vastes, très plats, où la mélodie, où la mélopée, en quelque sorte horizontale, s’étend sans obstacle et sans fin.
Autant que la nature, la musique russe aime le peuple. Musique des tsars et des seigneurs, de Boris et d’Igor, elle ne l’est pas moins, si même elle ne l’est davantage, des chemineaux et des paysans. Avec une pitié fraternelle, tour à tour tendre et farouche, elle chante sur des lèvres tantôt plaintives et tantôt irritées. Les plus chétives, les plus viles créatures, elle ne les dédaigne pas. Elle note les cris, presque les hoquets d’un ivrogne (chanson de Varlaam, de Moussorgsky, chantée par M. Chaliapine) et dans la dernière scène de Boris Godounof, c’est un idiot, couché sur le bord de la route, qui pleure la ruine et la honte de la sainte Russie.
Mais de ce réalisme vigoureux, jamais ignoble, la musique russe, par des élans soudains, remonte vers les sommets. Religieuse, autant que descriptive et populaire, elle l’est en quelque sorte deux fois : ou sur le mode éclatant et lyrique, ou sur le mode mystique et profond. Un de ses personnages favoris est une sorte de barde ou de trouvère