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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/229

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sacré. C’en est un qui chante l’épithalame, au premier acte de Russlan et Ludmilla. D’autres (voyez Boris Godounof) s’en vont, errant et mendiait, à travers la campagne. Ils adressent au peuple des homélies et des prières au Seigneur. On les nomme les Kaliéki-Perekhodjie. Le premier de leur race fut, disent-ils, au moyen âge, un certain Stavre, qui savait des airs de Jérusalem et de Constantinople. Enfin, dans la Sniegourotchka, l’on voit encore, autour d’un tsar de légende, un conseil de vieillards aveugles, augustes et mélodieux. Ils chantent de graves et nobles complaintes, en s’accompagnant sur des cithares d’or. En vérité cette musique de Russie, à de certains momens, paraît exprimer la mélancolie grandiose du Psalmiste : « Confitebor tibi in cithara, Deus, Deus meus. Quare tristis es, anima mea, et quare conturbas me ? »

Musique de psaume et de cantique, elle l’est aussi de plus intime et plus humble prière. Deux fragmens de Moussorgsky, tirés, l’un de la Khovantschina, l’autre de Boris Godounof, ont permis de s’en convaincre. Il paraît qu’après la première représentation de Boris, on vit tomber sur le théâtre une couronne portant ces mots : « La Force s’est révélée. » Elle disait vrai, mais elle ne disait pas toute la vérité. Le récit du moine Pimène à l’usurpateur Boris tourmenté par le remords, surtout l’admirable monologue de Dosithée, près de mourir avec ses compagnons pour leur commune foi, rendent un tout autre témoignage. De telles beautés auraient aussi mérité leur couronne. Elle eût honoré, celle-ci, non plus la force, mais la piété, la sainteté, enfin tout ce que le génie extraordinaire d’un Moussorgsky mêla parfois à la rudesse, à la violence farouche, de suave, surnaturelle et presque divine douceur.

Si maintenant, après avoir essayé d’analyser l’ethos ou l’idéal de cet art, on se demande par quels élémens de la musique il s’exprime, on reconnaîtra sans hésiter que le principal est la mélodie. La musique russe est avant tout mélodique et chantante. C’est à cet égard surtout qu’elle nous apparaît comme une musique nouvelle, ou renouvelée. Harmonistes, les musiciens de Russie le sont avec finesse, avec originalité, mais sans la maîtrise des Allemands et, par exemple, d’un Richard Wagner. Quant au monde de la symphonie, ils n’en possèdent, pour ainsi dire, que l’un des deux hémisphères : non pas celui de ce qu’on appelle quelquefois le développement thématique, mais celui de l’instrumentation.

Parmi les compositeurs vivans, il n’est pas un virtuose de l’orchestre supérieur à M. Rimsky-Korsakof. Je ne sais pas de musique aujourd’hui plus délicieuse à entendre que la sienne. On ne dirait pas