On sait d’ailleurs que le Raphaël du musée Brera, le fameux Sposalizio, à lui seul, suffirait pour récompenser des plus dures fatigues. Placé sur un chevalet, au centre de la petite salle, ce n’est pas seulement les autres peintures de cette salle, c’est tout le reste des peintures du musée qu’il efface, du rayonnement de sa jeune et vivante beauté. Mais combien différente est l’impression qui se dégage, pour nous, du tableau de Corrège, une Adoration des mages, orgueilleusement dressée au milieu d’une salle voisine ! Nous sentons tout de suite, en vérité, que sa vilaine couleur, son mélange disparate de tons jaunes, gris verdâtres, et rouges violacés, ne lui vient que de la main maladroite et du mauvais goût d’un « restaurateur ; » nous sentons que nous sommes là en présence d’une « ruine, » d’une de ces peintures qu’on a laissées dépérir, durant des siècles, au fond de quelque cave ou de quelque grenier, et à qui nul effort, désormais, ne peut rendre la vie : mais la composition du tableau, son dessin, tout ce qui y subsiste de l’œuvre primitive, comme tout cela est pauvre, et pénible, et déplaisant à voir ! Tout au plus, la figure et la pose de la Vierge, assise sur les marches du pourtour d’un vieux temple, dans un des coins de la scène, ont-elles un certain charme de douceur féminine : encore que la pose soit bien étrangement contournée, et le long visage en profil d’un modelé bien gauche. Quant aux figures des trois Mages, nous excuserions plus volontiers l’incorrection de leur dessin, malgré tout ce qu’elle a de grossier et parfois de choquant, si elle ne s’accompagnait point d’une prétentieuse niaiserie dans l’invention des mouvemens et des attitudes. Il n’y a pas un détail de ces trois figures qui ne nous révèle, chez le peintre, un désir enfantin d’expliquer au spectateur les sentimens et les pensées de ses personnages : et tout est faux, à force de vouloir nous paraître trop vrai, dans le rôle des trois acteurs, depuis la vénération affectée du premier et l’empressement excessif, la singulière démarche dansante, du second, jusqu’au geste du troisième, un nègre un peu trop grand, reprenant des mains d’un serviteur trop petit le vase qu’il va offrir à l’Enfant divin. Plus loin, devant un paysage improvisé au hasard, d’autres figures font un groupe banal et confus, et que nous ne songerions même pas à remarquer si nos yeux n’y étaient attirés par les formes bizarres d’un cheval et d’un chien, introduits dans le groupe pour nous rappeler, sans doute, que des bergers ont uni leurs hommages à ceux des princes voyageurs. Et le groupe même des petits anges qui flottent, dans un nuage fumeux, au-dessus de la Vierge, ne parvient pas à animer cette indigente peinture d’un peu de grâce poétique et pieuse.