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— Ah ! monsieur, ils l’ont tué !

Pour comprendre l’œuvre de Mandrin et la faveur dont le peuple l’a soutenu, il est nécessaire de remonter aux conditions sociales et économiques au milieu desquelles il a paru, qui ont fait de lui ce qu’il a été, et qui l’ont si rapidement conduit à une renommée retentissante.


I. — LES FEMMES GÉNÉRALES

Depuis Colbert, la perception de la plupart des contributions indirectes était affermée à une compagnie financière, qui comprenait, à l’époque de Mandrin, c’est-à-dire au milieu du XVIIIe siècle, quarante membres. Moyennant une redevance annuelle au Trésor du roi, redevance qui fut d’une centaine de millions de 1749 à 1755, les fermiers généraux levaient les droits de traite (douanes et octrois), l’impôt sur le sel et celui sur le tabac, et les bénéfices de l’opération étaient pour eux.

Ces bénéfices ne tardèrent pas à être considérables. « Un petit nombre d’individus, écrit Sénac de Meilhan, a partagé la cinquantième, puis la soixantième partie de toute la richesse nationale. Chaque province a contribué annuellement, environ d’un million de son numéraire, à cette étonnante profusion. Qu’on juge du luxe qu’elle a dû produire dans la capitale, du dessèchement qu’elle a causé dans les provinces. » Après avoir passé en revue les grandes fortunes acquises par les fermiers généraux, Sénac de Meilhan ajoute : « Les auteurs, qui ont le plus déclamé contre les profits de la Ferme, n’ont peut-être pas imaginé qu’ils puissent s’élever à la somme immense que présente ce tableau. »

Pour accomplir la tâche qui leur incombait, les fermiers généraux en étaient arrivés à se donner une formidable organisation. Leur administration centrale était établie dans le somptueux hôtel de Soissons, rue de Grenelle-Saint-Honoré. C’est là que nos quarante associés siégeaient autour de leur fameux tapis vert ; c’est de là que, dans l’imagination populaire, ils rayonnaient d’un éclat surnaturel jusqu’au fond des provinces les plus éloignées. Ils avaient divisé la France en trente départemens, comprenant un millier de bureaux, avec une subdivision de plus de quatre mille bureaux secondaires. Dans son célèbre compte