Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’en 1891 : vieille gentilhommière, qui avait été tour à tour auditoire de châtellenie, maison de ville, résidence bourgeoise et maison de commerce. C’est aujourd’hui un monument historique, la « Maison de Mandrin, » comme il a été dit.

Les murs massifs, hauts de trois étages, ont été construits, vers le milieu du XVIe siècle, en « cailloux roulés. » C’est ainsi qu’on nomme les grosses pierres arrondies et polies au cours de l’eau, semblables à des galets, qui se trouvent en abondance dans la vallée de l’Isère, où la rivière occupait anciennement un lit beaucoup plus large qu’aujourd’hui. L’appareil de maçonnerie est apparent, disposé en « épis de blé, » avec cordons de briques. Ce qui donnait de l’originalité à la construction, c’est qu’elle était portée tout entière sur des voûtes en arceaux, qui faisaient du rez-de-chaussée une manière de grande halle, où l’on accédait par quatre larges portes en tiers-point, percées au milieu de chacun des quatre côtés, et dont les baies prenaient la moitié de chaque façade.

Ce préau, dénommé « les poètes, » de pallium, abri, — dans le patois gallo-romain du pays, on l’appelait le Peylo, — était terrain communal, bien que la maison, qui s’élevait au-dessus, fût propriété privée. Il appartenait à l’ensemble des habitans de la ville et leur servait de place publique, une place publique à l’abri des intempéries ; aussi, du matin au soir, y voyait-on arrêtées de bonnes gens qui devisaient.

C’était le lieu où se réunissaient les assemblées de la communauté sous la présidence du châtelain ; où les jeudis, quand se tenait le marché, les paysans venaient ranger leurs légumes en tas, empiler leurs sacs de blé ou d’avoine, et déposer leurs grands paniers d’osier remplis de volaille bruyante ; où les fermières mettaient en ligne leurs bannettes pleines d’œufs ou de mottes de beurre frais. Et, ces jours, quel hourvari ! le bruit sain et charmant que font les chevaux qui piaffent, les moutons qui bêlent, les veaux qui beuglent, les poules et les femmes qui caquettent. A la procession de la Fête-Dieu, on y dressait le reposoir tendu de draps blancs, où les bougies brûlaient en vacillant, petites flammes incertaines et pâles dans la clarté du jour. Là se groupaient les samedis soir, après la semaine, et les dimanches à relevée, les bourgeois de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs et les paysans du mandement, pour s’entretenir de leurs affaires ; là se débattaient les intérêts de la commune et se faisaient les