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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/577

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Louis Mandrin y a « traîné » dès sa première enfance. Il y entendait les conversations des bonnes gens, leurs plaintes contre les rigueurs du fisc, leurs colères contre les excès des gâpians, leurs doléances sur l’état lamentable du commerce gêné par les entraves que les fermiers généraux ne cessaient d’y apporter ; là se semèrent, dans la pensée vive et ardente du jeune Mandrin, les germes des révoltes prochaines, quand il entendait les contraintes dont on accablait le paysan qui travaillait si durement, quand on décrivait devant lui les misères et les souffrances dont s’alimentaient le luxe monstrueux et les orgies grossières des publicains de Paris, que des orateurs d’estaminet faisaient passer sous ses yeux en tableaux fantastiques.

Accroupi dans un coin, sur la terre grasse qui servait de parquet à la boutique, Louis Mandrin écoutait, la tête appuyée au creux de ses mains. Dans la boutique ouverte sous les poètes de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs se sont formées les idées du futur contrebandier.

Louis Mandrin avait dix-sept ans quand son père mourut en 1742. Si jeune encore, il se trouva alors le chef d’une nombreuse famille et qui allait lui imposer de lourdes charges. Outre sa mère, il avait encore à soutenir quatre frères : Pierre, Claude, Antoine, âgés respectivement de treize, onze et six ans ; — le dernier, Jean, naquit deux mois après le décès de son père ; — et quatre sœurs : Marie, Marianne, Anne et Cécile, âgées de seize, neuf, six et deux ans.

Le jeune homme se met à l’œuvre, il cherche à donner plus d’extension au commerce de son père et déploie une grande activité. On le voit fréquenter les foires de la région où il fait des ventes et des achats, il loue des prairies, fait un trafic de bestiaux, entreprend pour le compte de la commune des fournitures de chevaux et de mulets. C’est ainsi qu’il conduit jusqu’à Romans, en janvier 1747, pour le compte des officiers municipaux, quatre mulets destinés à l’armée de Piémont. On verra les conséquences de ce fait, si peu important par lui-même.

Il était, à vingt ans, un beau gars, robuste, large d’épaules, bien planté, la jambe haute, pleine et bien faite. Il était doué d’une agilité et d’une force surprenantes. Il avait le teint clair, les cheveux blonds, mais tirant sur le roux, comme si le soleil,