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loin de lui avoir été un frein, l’action de sa mère ne fit qu’exciter encore son esprit naturellement enclin aux résolutions extrêmes. C’était une femme remplie d’imagination, très vive, sans beaucoup de jugement. Elle était très autoritaire, parlant avec emportement, n’admettant pas la contradiction, ou, plutôt, ne l’entendant pas. Elle était de ces femmes qui, par leur manque de raison même, rapides et absolues dans leurs décisions, font marcher les hommes de leur famille. Elle faisait marcher son fils Louis, d’autant qu’il était très jeune et se laissa toujours facilement influencer.

Et puis, dans ce petit bourg rustique de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, enfermé dans une existence étroite et médiocre, que pouvait bien faire un homme rempli d’énergie, dévoré par un incroyable besoin d’activité physique et morale, débordant de vie et de vigueur, comme Louis Mandrin ? Plusieurs lettres écrites par ses concitoyens le montrent fumant beaucoup, buvant ferme, sacrant et tempêtant. Il aimait excessivement la bonne chère. Contrairement à la légende, nulle trace d’aventures féminines. Le père n’est plus là pour contenir son garçon qui traîne beaucoup trop dans les cabarets. Ce sont des rixes d’estaminet, des conflits plus ou moins violens avec des voisins auxquels la veuve Mandrin et son fils disputent un coin de prairie ou quelques poutres abandonnées dans une grange. On arrive ainsi jusqu’en 1718, où Mandrin atteint ses vingt-trois ans et où se place l’événement qui devait changer l’orientation de sa vie entière.

La guerre dite de la Succession d’Autriche était engagée depuis 1741. Le maréchal de Belle-Isle commandait l’armée de Provence campée dans la Haute-Italie. Il avait des magasins d’approvisionnement à Villefranche, à Menton, à Cabbé-Roquebrune. Des chevaux, des mules et des mulets lui étaient nécessaires pour le transport des vivres et autres munitions par les cols et par les gorges des Alpes. Nous venons de voir Louis Mandrin chargé de conduire, en janvier 1747, jusqu’à Romans, quatre mulets fournis par la communauté de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, pour satisfaire aux réquisitions des intendans militaires. Cette entreprise le mêla aux marchés qui se passaient dans la région, afin de procurer à l’armée de Provence les