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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/65

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esprits en Allemagne vers la fin du siècle dernier qui m’occupent, que l’étendue, le caractère de cet état d’esprit, les lieux où il règne, les symptômes par lesquels il se manifeste. De telle façon que des productions allemandes, même médiocres, même assez obscures, m’en apprendraient peut-être beaucoup sur ce point. Des ouvrages écrits par des étrangers sur l’Allemagne vers ce temps, des voyages pourraient jeter des lumières sur le sujet qui m’intéresse : des actes publics, des mémoires particuliers seraient souvent de nature à mettre en relief ce que je cherche.

Je quitte Paris dans quinze jours pour me rendre chez moi en Normandie. Si vous m’écrivez après ce terme, c’est donc à Tocqueville qu’il faut adresser vos lettres. Je passerai là tout l’été. Mille amitiés de cœur.

A. DE TOCQUEVILLE.


Saint-Cyr, par Tours (Indre-et-Loire), le 11 octobre 1853.

Mon cher ami,

Par une coïncidence bien extraordinaire je reçois le même jour votre livre et la lettre que vous m’avez adressée à Tocqueville, il y a six jours. Le premier m’est apporté de Paris par mon père et l’autre m’est renvoyée de la Normandie où je n’ai pas été cet été. Je n’ai plus de logement à Paris ; de telle sorte que le portier de mon ancienne maison s’est borné à garder précieusement votre ouvrage sans m’avertir, et comme j’ai supprimé les journaux français, plus inutiles à lire que des journaux censurés (lesquels laissent au moins entrevoir ce que le gouvernement ne veut pas qu’on dise) et ne reçois que des journaux étrangers, il en résulte que j’ignorais même que votre œuvre eût paru et étais tous les jours tenté de vous écrire pour vous demander ce qui vous empêchait de vous présenter devant le public.

Je ne vous dirai rien de l’ouvrage dans cette lettre, sinon que je vais le lire bien attentivement, non pour vous donner une appréciation de détail, — car autant que j’en puis juger par la table, il est le produit de recherches profondes sur des parties de l’histoire de l’homme qui ne me sont pas familières, — mais du moins pour vous faire connaître au vrai mon impression générale. C’est, je pense, tout ce que vous attendez de moi. Je ne vous ai jamais caché, du reste, que j’avais un grand préjugé