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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/752

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l’idée de s’adresser directement au Roi et de lui faire part de l’embarras où elle se trouvait[1]. On peut supposer qu’elle se servit comme intermédiaire de l’un de ses membres, par exemple, du maréchal de Beauvau, qui venait d’être ministre de Louis XVI dans des circonstances graves et jouissait de toute sa confiance. En même temps qu’ami fidèle de son maître, le maréchal était resté un modèle d’académicien ; les Registres nous montrent qu’il ne manquait presque pas une séance. C’est donc probablement par lui que le Roi fit savoir qu’il renonçait de lui-même au droit de confirmer les élections académiques. Ce mauvais pas franchi, quand on eut achevé de se mettre d’accord, le secrétaire perpétuel adressa le projet du règlement nouveau au président de l’Assemblée nationale, qui, le 6 septembre, lui en accusa réception.

Malgré les concessions que l’Académie avait faites, il n’était guère probable que son projet fût accepté : on ne tenait pas à la réformer, on voulait la détruire. La commission chargée de préparer la loi sur l’Instruction publique, à laquelle le projet fut renvoyé, y était tout à fait décidée, et elle chargea Mirabeau, son rapporteur, de communiquer sa résolution à l’assemblée. Depuis quelques années, Mirabeau s’était étroitement lié avec Chamfort, qui lui rendait le service de corriger ses écrits et qui même assez souvent l’aidait à les composer. Les deux amis vivaient dans une grande intimité que Chamfort égayait de son esprit intarissable. C’était un causeur charmant, qui connaissait à fond la société de son temps et la traitait sans pitié. On pense bien que ses confrères de l’Académie n’étaient pas épargnés et que trois fois par semaine, au sortir des séances où il était fort assidu, il ne se gênait pas pour plaisanter de ce qu’il venait de voir et d’entendre. Il est naturel que Mirabeau, en l’écoutant, se soit convaincu que personne ne parlerait avec plus de compétence et ne dirait plus de mal de l’Académie que cet académicien malveillant, et, comme il n’avait aucun scrupule à se servir de la plume des autres, il eut l’idée de le charger d’écrire à sa place le discours qu’on lui demandait. Chamfort ne se fit pas prier, et le discours était prêt à être prononcé, quand Mirabeau mourut, après une courte maladie, le 21 avril 1791. Chamfort était content de son œuvre ; il tenait à satisfaire ses haines.

  1. C’est au moins ce qu’on peut conjecturer d’après le récit de La Harpe dans le Mercure de France.