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guérit les toux opiniâtres. L’Electrice Sophie envoyait des caisses de boudin, de simples fonctionnaires offraient des oies ou du saumon. Il était si connu qu’on ne pouvait mieux faire sa cour à la duchesse d’Orléans, belle-sœur du roi de France, que le duc de Wurtemberg, se trouvant à Paris en voyage d’agrément, lui fit porter une platée de choucroute : « Je n’en avais pas mangé d’aussi bonne, écrivit Madame à sa sœur Louise, depuis que j’ai quitté le Palatinat ; mais elle avait été accommodée par un cuisinier allemand[1]. »

Presque autant que nos sauces, et à plus juste titre, l’habitude que nous avions de vivre au milieu des ordures révoltait Madame, qui n’avait pourtant pas été gâtée en Allemagne sur le chapitre de la propreté ; mais tout est relatif : « Il est certain, disait-elle, que celui qui a vu la Hollande (elle l’avait vue avant son mariage) trouve l’Allemagne sale ; mais il n’y a qu’à venir en France pour trouver l’Allemagne propre et agréable ; car rien n’est plus puant, ni plus cochon que Paris. » Elle entrait dans des détails à la Zola sur les odeurs de Paris le matin, alors que toutes les fenêtres s’ouvraient pour livrer passage aux détritus humains de la nuit, et se déclarait hors d’état de supporter cet air empesté : « Dès que j’y suis seulement deux heures, j’ai mal à la tête, ça me pique la gorge et je ne cesse plus de tousser[2]. »

A Paris et hors de Paris, les palais des princes, avec leurs foules sans cesse renouvelées, étaient les grands foyers d’infection. Le sans-gêne incroyable des hommes transformait les escaliers et les recoins du Louvre, ou les galeries de Versailles, en dépotoirs immondes où les femmes ne passaient qu’en relevant leurs jupes, et dont l’odeur vous poursuivait : « Tout le Palais-Royal, disait Madame dans son langage naturaliste, pue le pissat à ne pouvoir y tenir[3]. » Nos pères avaient réussi à dégoûter la princesse Liselotte, ce qui n’était pourtant point facile, et l’on ne trouve rien à dire pour leur défense : ils étaient positivement sales, et le Roi laissait faire, n’imaginant pas que les choses pussent être autrement.

A aucun point de vue, les Français ne consolaient Madame de la France, et ce ne sont pas ses lettres qui nous feront une

  1. Lettre du 27 décembre 1715.
  2. Lettres du 24 juillet 1721, à la raugrave Louise, du 16 janvier 1695 à l’Electrice Sophie.
  3. Du 16 avril 1721, à M. de Harllng.