belle réputation à l’étranger. On y rencontre à l’état de refrain que nous sommes intrigans, faux, égoïstes, envieux, intéressés, corrompus et débauchés ; en quoi Madame avait tort et raison tout à la fois. Elle avait en partie raison si l’on considère le milieu artificiel où elle vivait, la petite cour perverse de Monsieur, la grande cour quémandeuse de Louis XIV. Elle avait tort si l’on porte ses regards plus loin, vers la France qui travaillait et qui pensait ; mais Madame ignorait cette France-là. Elle ne connaissait rien en dehors du monde admis à fréquenter chez elle ou chez le Roi. Paris, où elle aurait appris que Saint-Germain, ou Versailles, n’étaient pas toute la France, lui était à ce point « insupportable », qu’elle le fuyait. Aussi en ignore-t-elle absolument tout. En voici un exemple. Madame croisait tous les jours chez le Roi les Colbert, les Le Tellier, les membres du Conseil, les parlementaires. Néanmoins, dans les rares occasions où elle fait allusion à notre bourgeoisie, c’est toujours à de petites gens qu’elle pense, des gens qui ont le parler vulgaire et des façons de vivre inélégantes. On finit par se demander si elle avait jamais daigné remarquer l’existence d’une haute bourgeoisie qui ne le cédait à la noblesse ni en urbanité, ni en luxe, et qui, au surplus, détenait le pouvoir et la richesse. En tout cas, on sent qu’il n’y a pas de contact entre elle et cette classe grandissante dont l’importance lui échappe entièrement.
Dès qu’elle sort des personnalités et des faits divers, on a toujours l’impression que l’étroitesse de son horizon, sa monotonie, réagissent sur ses jugemens. Cela est d’autant plus frappant que la princesse Liselotte, à défaut d’une grande intelligence, possédait un esprit vif et net ; et cela est très intéressant à observer, car ce qui s’est passé pour elle s’est passé pour toute la noblesse française quand nos rois l’eurent parquée à Versailles en dehors du courant des idées. Le provincialisme de cour — si j’ose ainsi parler — que l’on constate chez Madame explique que la cour de France ait perdu si vite la direction de l’opinion. Paris, toujours à l’avant-garde du mouvement intellectuel, eut vite fait de la lui enlever, et la garda ; au temps de Molière, c’était la cour qui décidait du succès des pièces ; au temps de Marivaux, c’était Paris. On en vint très rapidement à parler deux langues différentes, si différentes qu’on ne se comprit plus. La royauté s’en aperçut à la Révolution ; mais il était trop tard.
Il faudrait encore des pages pour épuiser les griefs de