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Liselotte contre sa patrie d’adoption. Nous n’en citerons plus qu’un, celui, peut-être, qui revient le plus souvent sous sa plume, et qui n’existait pourtant que dans son imagination, ainsi que le prouveront les événemens.

Madame faisait profession de haïr la cérémonie ; elle se figurait aimer les mœurs simples et sans façon, et maudissait l’esclavage qu’entraînait l’étiquette des grandes cours. Si Madame avait pu voir jouer Ruy Blas, elle se serait certainement reconnue dans ces vers de la Reine :


… Que ne suis-je encor, moi qui crains tous ces grands,
Dans ma bonne Allemagne, avec mes bons parens !
Comme, ma sœur et moi, nous courions dans les herbes !
Et puis, des paysans passaient, traînant des gerbes :
Nous leur parlions. C’était charmant…


En réalité, Madame attachait plus d’importance à la cérémonie que pas une princesse française : « Noble et grande en toutes ses manières, » dit Saint-Simon, elle était « petite au dernier point sur tout ce qui regardait ce qui lui était dû[1]. » Elle avait toujours peur qu’on ne lui « manquât, » fût-ce involontairement et à deux cents lieues de distance. Sa correspondance en fait foi. Elle y donne des leçons de « protocole » à la raugrave Louise pour empêcher qu’à Hanovre, ou à Heidelberg, quelque obscure inconnue ne l’appelle en conversation Madame la Duchesse d’Orléans au lieu de Madame tout court. Ailleurs, elle prie sa sœur de faire en sorte qu’un Allemand de condition modeste, qui avait été tout heureux de lui adresser la parole dans le parc de Saint-Cloud, apprenne pour une autre fois à s’exprimer congrûment : « Si ce brave homme revenait, qu’il ne m’appelle plus Altesse. Ce titre-là n’est que pour les princes du sang. Nous et nos enfans, on nous appelle Altesses royales, titre qui n’appartient qu’aux petits enfans de France. »

Il faut dire, à la décharge de Madame, que les questions d’étiquette et de préséance présentaient alors une acuité qui a disparu avec le prestige des grands de la terre. Saint-Simon n’a jamais pu parler de sang-froid de l’affaire « du bonnet. » Le premier président du Parlement de Paris ôterait-il son bonnet en prenant l’avis des ducs et pairs ? Il semblait que le sort de la

  1. Mémoires, éd. Chéruel, in-18, vol. XIX, p. 85.