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elles sont attachées ne fusionnent que rarement et ne s’apprécient guère. Tandis que Mme de Polastron fait partie du service de la Reine, Mme de Balbi est dame d’atours de Madame, Comtesse de Provence. La première est étroitement liée à la famille de Polignac dont elle est la proche parente, dont elle partage les inimitiés et les affections, les faveurs et les épreuves. La seconde au contraire est à la tête de la société du Comte de Provence, société qui fait aux Polignac une guerre sourde, mais incessante.

Dans les premières années de son arrivée à Versailles, en effet, Marie-Antoinette a vécu dans l’intimité de son beau-frère et de sa belle-sœur ; mais la différence d’idées, de goûts et de sentimens a promptement amené un refroidissement que le temps n’a fait qu’accentuer ; aux affectueux rapports d’autrefois a succédé une froideur mêlée de méfiance. Mme de Polastron est de toutes les fêtes et prend part à toutes les réjouissances, elle patine sur la pièce d’eau des Suisses, elle danse aux bals intimes de la Reine et elle joue avec elle la comédie à Trianon.

C’est en distractions moins futiles que la comtesse de Balbi dépense son activité inlassable et occupe son esprit avisé. D’ailleurs, attachée à la maison de Joséphine-Louise de Savoie, elle ne peut qu’imiter sa réserve et suivre son exemple. C’est donc seulement comme spectatrice qu’elle se mêle de temps à autre à la troupe de la Reine, puisque Monsieur interdit à son épouse de figurer au nombre des actrices. La gravité et la précoce sagesse du frère de Louis XVI réprouvent ces futiles passe-temps qu’il juge, non sans raison peut-être, incompatibles avec la dignité royale. Il estime qu’il est regrettable de renverser brusquement les barrières prudemment élevées jadis entre les souverains et leurs sujets, et la suite des événemens ne viendra malheureusement que trop vite justifier le bien fondé de ses alarmes !

Le caractère de la liaison princière de chacune des deux favorites est lui-même essentiellement différent : Louise d’Esparbès demeure volontairement dans l’effacement, ne trouvant de satisfaction que dans le commerce de ses amies et aux côtés du Comte d’Artois auprès duquel elle veut être toujours et sans cesse. Ce n’est ni un caprice des sens, ni un calcul d’intérêt qui a triomphé de ses scrupules. Pendant de longs mois, la jeune femme a résisté à sa cour assidue et pressante, mais dans ces réunions journalières où la familiarité résulte de l’intimité, le