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jeunesse, Laffitte consacrait chaque jour deux ou trois heures à la lecture et à l’étude de nos grands écrivains. Molière, paraît-il, était l’objet de sa prédilection. Il savait par cœur plusieurs de ses pièces, et l’on ne s’étonnera point, en raison de son tempérament d’homme droit et généreux, qu’il eût été surtout attiré par Tartufe, le Misanthrope et l’Avare. Il s’était rangé, dans la bataille littéraire très vive déjà entre classiques et romantiques, du côté des classiques. La nouvelle école n’allait guère à son esprit méthodique et précis. D’une manière générale, les hommes qui alors se réclamaient de la Révolution étaient plutôt attachés aux traditions classiques. L’imagination de Laffitte s’appliquait d’ailleurs plus naturellement aux combinaisons financières. Dans les séances les plus agitées des Chambres dont il fit partie, il garda toujours son sang-froid. Ce n’était pas un orateur brillant, comme on les aimait assez à cette époque où l’on mettait quelque solennité et parfois quelque emphase dans les discours. Il parlait avec clarté, sans prétention, il était, suivant l’expression d’aujourd’hui, un debater.

Quelques biographes de Laffitte l’ont fait à tort gendre de Perregaux[1]. S’il en avait été ainsi, Perregaux aurait eu moins de mérite à le désigner dans son testament[2] comme directeur de sa maison de banque. Laffitte avait déjà chez Perregaux une situation importante lorsqu’il se maria, en l’an IX, avec une jeune fille de condition modeste, originaire du Havre[3]. Il avait alors trente-cinq ans et demi, et sa femme seize ans et demi. Lorsqu’il mourut, le 26 mai 1844, à l’âge de soizante-seize ans, celle-ci lui survivait.

Tels sont les traits principaux du caractère de Laffitte et les données sur l’ensemble de sa vie, que nous avons cru utile de grouper avant d’entrer dans l’examen de ses opinions, de ses idées, et surtout de l’action qu’il exerça. Cette action et ses opinions ne nous intéressent ici qu’en ce qui regarde les questions financières. Quelques brèves indications, absolument indispensables, nous suffiront sur le rôle politique qu’il joua, au grand dommage de sa situation et de sa fortune.

  1. Perregaux avait marié sa fille à Marmont, duc de Raguse.
  2. Perregaux avait un fils auquel il fit suivre la carrière administrative.
  3. Elle s’appelait Marie-Françoise Laeut. Son père était négociant au Havre. Le mariage eut lieu à Paris le 3 prairial an IX. Laffitte avait comme témoins deux de ses frères : Pierre, négociant à Saint-Quentin, et Martin, marin au Port-Liberté (Morbihan).