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Forcé de quitter Paris, Dominique connut après la vie large la vie étroite, après la vie facile la vie gênée, et, assagi par cette expérience en même temps qu’à bout de ressources, il se trouva mûr pour une réconciliation dont les avances, venues de lui, reçurent du père un accueil plus que froid. Des parens, des amis s’entremirent. Une trêve fut consentie, sous réserve que le jeune homme prendrait une occupation. Il ne demandait pas mieux : ventre affamé a plus d’oreilles que le dicton ne lui en prête. Un oncle célibataire, Contrôleur des Actes à Brest, lui offrit une place dans ses bureaux. C’était encore l’exil, un exil au bout du monde. Néanmoins, il accepta et n’eut point à s’en repentir. La fortune, qui favorise les audacieux, allait, pour une fois, favoriser la résignation.

Dominique Clément de Ris avait alors vingt-six ans, une belle prestance rehaussée par l’élégance d’une mise à la mode de Paris, l’humeur sociable et le goût de plaire ; il était causeur charmant, ami obligeant et d’un commerce sûr. Avec cela, partisan des idées nouvelles, admirateur et disciple de Rousseau, pour qui toute la famille avait et garda longtemps un culte. Il eut vite fait de conquérir des sympathies, tant parmi les milieux mondains de Brest, qu’auprès de ceux que préoccupaient les grands problèmes de morale, de philanthropie et de rénovation sociale à l’ordre du jour. Attiré à la Franc-Maçonnerie, il fut choisi comme Orateur de la Loge de l’Heureuse Rencontre, un nom de bon augure et qui tint ce qu’il promettait.

Là, en effet, se nouèrent les relations entre Clément de Ris et celui qui, sous peu de mois, devait le prendre pour gendre, M. Chevreux du Mesnil, Conseiller du Roi et Receveur des décimes du clergé au diocèse de Tréguier. Le mariage fut célébré en février 1777. Il fit deux heureux et beaucoup d’envieux.

Fille unique d’un père veuf et possesseur d’une grosse fortune, Mlle Chevreux était ce qu’on appelle un beau parti. Elle était de plus un bon parti : car aux avantages de l’argent elle unissait les dons de l’esprit, qui sont le charme de la femme, et les qualités de cœur et de caractère, qui sont sa force. Quatre enfans allaient naître de cette union : une fille, Clémentine, née en 1777 ; trois fils, Ange, Louis, Paulin, nés respectivement en 1779, 1782 et 1788[1].

  1. Un seul de ces quatre enfans atteignit l’âge d’homme, Louis dit Emile, qui, en 1827 succéda à son père comme Pair de France. Clémentine mourut à 21 ans à Azay-sur-Cher. Ange mourut au même âge étant élève à l’École Polytechnique. Paulin fut tué à la bataille de Friedland.