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laire, pas un mot qui sonne de la même façon. Un Allemand et un Russe, s’ils ne savent pas le français, ne peuvent pas donc comprendre la phrase en universal. Mais si un Allemand et un Russe apprennent le français pour savoir ensuite l’universal, ils ne suivent pas la ligne de la moindre résistance : ils ont tout avantage à faire un seul effort au lieu de deux et à se contenter du français comme langue auxiliaire.

On dit que la grammaire des langues artificielles est facile. D’accord : mais il faut tout de même apprendre des flexions nouvelles. Io es, tu eseva, lo esero n’est pas plus facile à retenir que je suis, tu étais, il sera. Ajoutez que la similitude des flexions naturelles avec les flexions artificielles fait naître dans l’esprit une confusion qui crée de très grandes difficultés.

Bien entendu, si l’on veut adopter une langue artificielle comme idiome auxiliaire, il faut en choisir une seule entre le grand nombre de celles qui ont été déjà inventées. Qui fera ce choix ? On dit que c’est une délégation internationale élue par différens corps savans. Cette délégation aura-t-elle une autorité suffisante ? Sa décision sera-t-elle obéie partout et toujours ? Ne rencontrera-t-elle aucune opposition, aucune résistance ? Je déclare que, pour mon compte, quand bien même toutes les académies du monde proclameraient l’informe espéranto langue auxiliaire de l’Europe, jamais, au grand jamais je ne me conformerais à cette décision. Des millions d’hommes seront dans mon cas. Certes, si je voulais me révolter contre le français, cela serait ridicule. Je ne puis pas empêcher cette langue d’avoir de fervens adeptes depuis le Chili jusqu’à la Sibérie. Mais la révolte contre l’espéranto peut être couronnée d’un plein succès ; parce qu’elle sera soutenue par les partisans de l’universal, de l’european, du tal, du latin sans flexions et d’autres idiomes artificiels qui poussent tous les jours. Comme chaque invention nouvelle peut réaliser des améliorations très précieuses, il est évident qu’il sera à jamais impossible d’arrêter l’humanité en lui disant : Jusqu’au docteur Zamenhof ou au docteur Molenaar et pas au delà ! Aucune autorité sur la terre ne possède assez de puissance pour rendre un pareil décret et pour le faire respecter !

Mille autres considérations démontrent d’ailleurs qu’une langue artificielle est une chimère, un simple gaspillage de forces et de temps.

D’abord, une langue sans littérature n’exerce aucun attrait.