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exagérer la portée, déjà bien assez alarmante, de ces chiffres. Beaucoup de ces impunis, on ne se fait pas faute de nous l’affirmer, sont repris dans les années qui suivent. Mais faisons bonne mesure : supposons qu’on en retrouve un tiers, — c’est une proportion à laquelle je ne sache pas que prétende la justice. — Ce tiers-là n’en a pas moins eu le temps de commettre des méfaits nouveaux et de troubler gravement l’ordre public. Il aura grossi ces bandes éparses, en dissolution et en reconstruction continuelles, que la police connaît, qu’elle n’ose pourtant pas arrêter de peur d’en avoir trop sur les bras. Puis, il faut toujours en revenir à ceci, que, vers 1860, les impunités définitives équivalaient aux deux tiers de 30 000, et qu’en 1905, elles équivalent aux deux tiers de 107 000. Là comme ailleurs, c’est la progression qui constitue le fait caractéristique… et inquiétant.

On a essayé d’un autre moyen d’atténuation. On a insinué que cette qualification d’auteurs inconnus devait être imaginée bien souvent pour des méfaits de si peu d’importance qu’on ne prenait pas la peine de les poursuivre. L’explication est légère, elle ne résiste pas à l’examen ; car, d’abord, la statistique a des colonnes spéciales pour les affaires classées parce que le caractère délictueux n’en était pas assez établi ou parce que les charges paraissaient insuffisantes. Pour le dire en passant, cette catégorie d’affaires classées paraît plutôt en diminution. Mais voici où l’examen détaillé des statistiques ne laisse malheureusement aucun doute : ce sont les affaires les plus graves qui donnent proportionnellement le plus de mécomptes, ce sont surtout les auteurs de vrais crimes qui trouvent le moyen de se dérober ; et loin de diminuer, ce genre d’insuccès va croissant.

En 1894, M. Yvernès père avait fait à la Société de statistique de Paris une communication qu’il voulait bien me résumer lui-même en ces termes : « En 1860, 10 935 affaires présentant le caractère de crimes, — je laisse absolument de côté les délits, je ne m’occupe que des faits ayant le caractère de crimes, — ont été classées aux parquets ou suivies d’ordonnances de non-lieu.

« Dans 5 769 d’entre elles, soit 53 p. 100 en chiffres ronds, — exactement 52,75 p. 100, — le motif de l’abandon des poursuites a été l’impossibilité de découvrir les auteurs du crime. Pour 1890, les chiffres correspondais, les chiffres des affaires légalement criminelles qui ont été classées ou qui ont été suivies d’ordonnances de non-lieu montent à 13 276. Sur ce nombre, étaient