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que l’esprit, tout en y suivant des allées familières, y éprouve de temps à autre la présence du merveilleux. Les animaux y ont à peine débrouillé leurs formes que les eaux du déluge avaient sans doute confondues ; et leur poil s’enlumine d’une étrange couleur. Le cheval bleu d’indigo garde obstinément le cou de la girafe. Mais les tiges des fleurs s’élancent et se recourbent en forme d’arc avec le sentiment de la régularité qu’elles devaient avoir sous la férule du Créateur ; et la nature s’efforce d’imiter les teintes inusables des tabliers dalécarliens.

Parfois l’instinct hiérarchique du paysan corrige un détail peu séant des Saintes Écritures. Ce n’est pas sur un âne, c’est sur un cheval arabe que Jésus accomplit son entrée dans Jérusalem. Parfois aussi son humeur s’échappe à goguenarder aux dépens des prophètes, car la Bible, livre unique, miroir de toute la vie, peut à l’occasion refléter notre gaieté, comme elle répond à nos tristesses. Au moment où Jonas sort de la baleine, le monstre referme la gueule et de sa lévite coupée lui fait un veston. Mais béatement Jonas se promène le long de la rive verdoyante et sourit à une enseigne de cabaret. Parfois enfin cette imagerie, dont j’ai entendu des peintres admirer la fermeté du trait, atteint par sa naïveté une grâce où semble avoir passé un peu de la lumière du ciel dalécarlien.

Soixante ans après Erik Jansson, un poète, fils de laboureurs et de mineurs, le premier de la famille qui ait quitté les champs et les forêts, « ses forêts nocturnes avec leurs ramiers et leurs lynx, » Karlfeldt recueillit ces peintures et les accrocha fièrement à la cimaise de la poésie suédoise. Un rien lui suffit pour en faire des chefs-d’œuvre. Mais ce rien, comment le définir ? C’est une pointe d’humour où perle l’essence même de la poésie. Sous ses doigts, la bonhomie de Jansson a pris une figure plus narquoise, et, sans gauchir de sa dignité solennelle et empesée, le pinceau campagnard a rencontré l’image délicate ou saisissante. Il a enté sur la candeur avantageuse du paysan dalécarlien la plus savoureuse des fantaisies.

Nous sommes au riche potager de l’Eden. Le veau danse sur des queues de tigres. Le cochon respire une rose humide de rosée. Adam « soucieux cultivateur, » (car, dès l’aurore du monde, un cultivateur fut toujours soucieux, et l’épithète de Karlfelt prête à la rudesse du dessin une valeur psychologique imprévue), Adam va et vient sous les jaunes pruniers. Ève avec une