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elles-mêmes, et qu’elles doivent faire le bonheur de tous les hommes, quels que soient leur pays, leur race, leurs habitudes sociales, leurs croyances religieuses. Aussi appliquions-nous, sans discernement, aux colonies tout l’imposant cortège de notre législation. Notre administration, a été, en général, trop avare de liberté. « Les colonies, pas plus que les batailles, ne se commandent de loin, dans les bureaux d’un ministère. Elles auraient parfois intérêt à couper le fil télégraphique qui les relie à la métropole. Il faut aux colonies, jeunes ou vieilles, une large part d’autonomie. L’autonomie peut être politique, et c’est alors la grand’route de la séparation. Mais elle peut être aussi purement administrative, résider dans une organisation locale puissante, contrôlée de haut par la métropole, mais libre dans ses mouvemens, statuant sur place, faisant face aux nécessités continuellement changeantes d’un état de choses en voie de formation, d’un éternel devenir. » C’est Jules Ferry qui, en 1892, à la suite de la grande enquête sénatoriale qu’il avait dirigée en Algérie, énonçait ces principes et en obtenait l’application[1].

Plus qu’aucune autre partie de l’Empire colonial français, l’Algérie avait souffert des abus de l’esprit centralisateur. Elle végétait sous un régime paralysant et déprimant : c’était le « système des rattachemens, » organisé par les décrets du 26 août 1881. Le gouverneur général, presque annihilé, n’était plus qu’un préfet supérieur dont la fonction était de servir d’intermédiaire entre le gouvernement central et la population indigène, et d’organiser la colonisation officielle. Toute l’administration, tous les organes du gouvernement étaient directement « rattachés » aux divers ministères de la métropole ; les fonctionnaires étaient nommés dans les trois départemens algériens comme ils l’auraient été dans l’un des 86 départemens français. Il en résultait une incompétence générale des services, une absence complète de spécialisation et, finalement, un ralentissement de la vie et de la croissance de l’Algérie. L’Algérie, disait-on, n’est pas une colonie, elle est le prolongement de la France ; les trois départemens africains doivent être assimilés à ceux d’Europe dont ils ne se distinguent que par la présence des indigènes. La colonie étouffait sous l’armure trop étroite des lois de la métropole et sous la routine d’une administration paperassière ;

  1. Jules Ferry, le Gouvernement de l’Algérie. A. Colin, 1892, brochure. Cf. Discours et opinions de J. Ferry, tome VII, page 286.