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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/127

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dont il juge le prix ; il lui apporte en échange des vertus dont je parlerai tout à l’heure et qui sont réelles, bien que les Américains de vieille souche ne les reconnaissent pas volontiers. Mais la « race » ne serait qu’un vain mot, si l’infusion de tant de sang nouveau ne modifiait pas profondément le sang des pionniers primitifs. L’afflux irlandais et allemand, mélanges celtes ou germaniques, avaient considérablement changé le type traditionnel de l’« uncle Sam, » ; dans l’éloquence ou dans la cuisine, dans les études et dans les divertissemens, dans la religion ou dans la façon de vivre. Or les arrivées annuelles d’immigrans se chiffraient à 280 000 en moyenne avant 1880 ; elles montèrent à 450 000 dans les vingt années suivantes, puis à 800 000 à partir de 1902 et, depuis 1905, elles dépassent 1 million par an. Comme on vient de le dire, ces néo-Américains sont issus de nationalités bien plus disparates que n’étaient les immigrans de 1860.

Et voici que, loin de se multiplier, l’Américain primitif, la race fondatrice et naguère dominante, devenue tout à coup inféconde, semble se condamner à disparaître. Qu’il n’y ait à Chicago, sur 2 millions d’habitans, que 375 000 Américains d’origine, en face de 600 000 Austro-Allemands et d’un million de Scandinaves, de Canadiens français et d’autres Européens, plus ou moins récemment incorporés, le cosmopolitisme d’une cité née de la veille, où il se publie des journaux à peu près en toutes les langues du monde, n’a rien d’anormal ; mais les anciens États de la Nouvelle-Angleterre, ceux du littoral Atlantique, le Massachusetts, le New-York, la Pensylvanie ou le Maryland, livrés à eux-mêmes, sans l’arrivée des immigrans, se dépeupleraient.

C’est une question délicate de scruter l’intimité conjugale aux États-Unis, afin de savoir pourquoi elle n’est pas plus fructueuse. Un étranger, — un Français surtout, — n’oserait en parler, si la matière n’avait été plusieurs fois traitée avec une grande liberté par le chef suprême de la nation. « Le président Roosevelt disait, non sans intention ironique, un journaliste des États-Unis, ne manque jamais une occasion de renforcer la loi morale. Un de ses critiques l’a baptisé le re-découvreur des dix commandemens. » Beau surnom, ma foi, et dont il n’y a pas à rougir. Que le premier magistrat de cette grande nation se soit impunément mis dans le cas de le mériter, il faut en féliciter et lui-même et son peuple.