Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV

Si nous souffrons de maux qu’ignorent les Américains, nous leur sommes évidemment supérieurs sur le terrain de l’instruction, des arts et du goût. Cela s’explique aisément : les immigrans ne venaient pas d’outre-mer pour philosopher. Si les citoyens des États-Unis s’étaient adonnés depuis cinquante ans à la culture intellectuelle, les terres seraient encore incultes. Primo vivere, et la vie offre tellement d’intérêt là-bas que chacun se sent beaucoup plus entraîné à agir qu’à penser ; le champ des réalités saisissables y offre plus d’attraction que celui des spéculations morales.

Les Américains bâtissent le gros œuvre de leur maison ; rien ne prouve qu’une fois en possession du vivre et du couvert, ils ne songeront pas à l’ornementation. Rien ne prouve non plus qu’ils y excelleront. Tous les peuples n’ont pas mêmes aptitudes : la qualité maîtresse de celui-ci, ce sens « pratique » que nous admirons, a son envers ; il empêche de s’attacher beaucoup à ce qui n’a pas d’utilité immédiate, et de se passionner pour les idées générales. Le nombre des cours dans les universités, le chiffre des volumes dans les bibliothèques, ne doivent pas nous abuser sur la différence profonde de niveau qui existe entre les élèves et les pédagogues du Nouveau-Monde et ceux de l’Ancien.

S’agit-il d’écoles professionnelles, les Américains sont nos maîtres ; leur système est bien plus « pratique » que le nôtre. Leur école est une usine en raccourci ; le professeur est un marchand qui fait en même temps des démonstrations et des profits ; ce qui ne l’empêche pas de servir de modèle, de donner des leçons aux industriels voisins et de leur apprendre par exemple, en fait de tissage, comment on donne un « toucher laine » plus parfait aux mélanges laine et coton.

S’agit-il au contraire d’enseignement classique, secondaire ou supérieur, nous remarquerons d’abord que l’époque de leur vie où les Français travaillent le plus, — dans les classes moyennes s’entend, — est précisément celle où les Américains travaillent le moins : c’est le temps du collège. Les vieux pays comme le nôtre ont organisé, à l’entrée de toutes les avenues par où les adultes doivent aborder la vie, une succession de barrières qui, sous couleur de sélection, ont surtout pour objet d’empêcher les