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la fidélité à la personne d’un souverain, du reste irréprochable, est un sentiment très vivace en Corée. Li-Hsi a été unanimement vénéré de ses sujets. Il leur inspire cette dévotion filiale, base de l’ordre social dans ces pays d’extrême-Asie, où le roi dispose de sa nation comme le père dispose de sa famille. La loyauté envers le prince a sa racine dans le cœur même du peuple coréen.

Grâce à l’harmonie intérieure qui en conserve et en étend sans cesse l’unité, les familles se groupent en clans, dont quelques-uns sont devenus très puissans, monopolisant souvent une des fonctions de la vie nationale. Tel fut le clan des Min. L’impératrice victime des Japonais en était issue. Il me fut donné d’assister aux funérailles du chef de cette puissante maison. Long de plusieurs lieues, le cortège comprenait toute la noblesse de Séoul. Une cavalcade de monstres en formait la tête : démons rouges, verts, bleus et jaunes, bêtes effrayantes, serpens et dragons aux gorges enflammées dont les longs replis jouaient sur la foule. Des sociétés et confréries suivaient, accompagnées de pleureuses, habillées de sacs de chanvre et hurlant à qui mieux mieux. Venaient ensuite les portraits du défunt, les objets précieux lui appartenant, ses chevaux, ses bœufs aux interminables files. Enfin émergeait le catafalque, vraie pagode de plusieurs étages, décoré d’incroyables richesses et porté par quarante personnes : les membres de la famille lui faisaient escorte : les hommes, à cheval, entièrement vêtus de blanc, les femmes, accroupies dans des palanquins tendus de soie, les serviteurs, les domestiques de tout ordre, les esclaves, les innombrables mendians de la capitale fermaient la procession. Mais comment décrire cette pompe évoquée d’un autre âge, sinon d’un autre monde ? Les funérailles se déploient à la lueur des torches dont les espaces nocturnes, jusqu’à l’horizon, sont enflammés. Toute la vieille Corée ressuscite.

Le neveu du défunt, en revanche, fut un homme moderne parlant plusieurs langues étrangères, habitant une villa européenne peu éloignée des légations. Je le connus à la cour de Saint-James voilà dix ans, lors du jubilé de la reine Victoria où il vint représenter la Corée. En arrivant à Séoul, une de mes premières visites fut pour lui. Mais quel ne fut pas mon étonnement d’apprendre qu’il n’a pu, lui aussi, survivre à la débâcle nationale ! Déjà, auprès du peuple, son trépas est illustré d’une légende héroïque. Peu de temps après l’enterrement du prince