Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV

Rentré en France, sa santé compromise l’obligeait avant tout à chercher le repos. Il partit avec sa famille pour Fresnes, demeure de son beau-frère, le marquis d’Aguesseau, à sept lieues de Paris. Ce fut dans cette retraite que vinrent le trouver les nouvelles des tragiques événemens qui se succédaient coup sur coup : les journées du 20 juin, du 10 août, les égorgemens de septembre. C’est là aussi qu’il vit un jour, avec une pénible surprise, son nom inscrit sur la liste des émigrés. Une protestation immédiate, insérée dans le Moniteur, fit constater que ni lui, ni son père, ni son frère le vicomte, n’avaient passé à l’étranger[1]. Il fit plus, il revint s’établir à Paris, auprès du maréchal, avec sa femme et ses enfans. Cette décision faillit lui coûter cher : à deux reprises, dans les mois qui suivirent, il fut mis en arrestation. La première fois, l’influence d’un ami parvint à l’arracher des mains des terroristes ; la seconde fois, il ne dut son salut qu’à lui-même ; désigné pour monter la garde à la porte du Temple, où Louis XVI était prisonnier, il refusa nettement d’obéir ; dénoncé sur-le-champ, appréhendé, traduit devant le comité de sa section, il s’expliqua avec une sincérité courageuse. « J’ai été, dit-il à ses juges, l’ambassadeur de ce malheureux prince ; il m’a comblé de ses bontés ; je ne pouvais me joindre à ses geôliers, m’exposer à tirer sur lui, s’il avait tenté de briser ses fers. » Ce langage étonna le tribunal improvisé ; il s’éleva dans le public un cri d’approbation ; « le dénonciateur troublé, stupéfait, se vit honteusement chassé, « tandis que l’accusé était ramené chez lui, aux acclamations de la foule[2].

On ne pouvait néanmoins espérer être toujours aussi heureux. Contre l’anarchie grandissante, il fallut chercher un asile. Le précepteur des deux fils de Ségur, le sieur Lugardon, originaire du bourg de Châtenay, près de Sceaux, indiqua cette localité comme spécialement tranquille et d’esprit pacifique. Sur la place du village était une petite maison de campagne, avec un parc, de trente arpens, autrefois habitée par le père de Voltaire et où s’était écoulée, disait-on, l’enfance du philosophe. L’acquisition

  1. Moniteur du 3 décembre 1792.
  2. Discours de réception de M. Viennet à l’Académie française. — Mémoires du général Philippe de Ségur.