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un jour à remplacer M. de Talleyrand aux Affaires étrangères. » Il n’en fallait pas tant pour éveiller l’ombrageuse jalousie du prince de Bénévent. Par suite de cette opposition, Ségur resta donc confiné dans des emplois de Cour, dont il s’acquittait, a-t-on dit, « avec cette légère nuance d’ironie qui sauve du ridicule et empêche de voir la puérilité de l’étiquette[1]. » — « Il avait d’ailleurs fort à faire, ajoute le même historien, pour mettre au courant de leurs rôles des acteurs dont beaucoup n’y étaient guère préparés et leur donner le ton et l’allure convenables. On le consultait de toutes parts sur toutes les difficultés d’étiquette ou de préséance. Il rendait des oracles avec une prévenance spirituelle. » Napoléon lui-même, dans les grandes représentations qu’il aimait à donner sur le théâtre de l’Europe, ne manquait pas d’avoir recours au tact et à l’expérience de son grand maître des cérémonies, répétait d’avance avec lui ce rôle difficile de souverain dont son génie lui avait appris le métier, mais dont il ignorait les gestes. C’est dans une parade de ce genre, lors du congrès d’Erfurt, que Ségur lui fit cette réponse d’un heureux à-propos : le grand maître arrivait quelque peu en retard au rendez-vous assigné par l’Empereur ; en le voyant entrer, ce dernier fronça le sourcil ; aussitôt, prévenant le reproche : « Excusez-moi, Sire, dit-il en souriant, je suis tombé dans un embarras de Rois, dont je n’ai pu sortir plus vite ! »

Cédant comme de coutume à son double penchant, Ségur, au début du régime, avait d’abord prétendu concilier sa rentrée dans la vie publique avec ses travaux littéraires. En compagnie de son frère et de Désaugiers, il avait récemment fondé la Société dite du Caveau, qui prit plus tard le nom de Société des dîners du Vaudeville. Il en resta membre assidu jusqu’à la fin du Consulat, apportant aux séances des pièces de vers et des chansons, d’un tour aimable et fin, qu’anime à l’occasion un léger souffle poétique. Certains couplets du comte et du vicomte ne sont pas encore oubliés ; je me borne à rappeler ici la pièce charmante sur le Voyage du Temps, et cette autre chanson dont on cite souvent le refrain sans en savoir l’auteur :


Tous les méchans sont buveurs d’eau,
C’est bien prouvé par le déluge.

  1. Paris sous Napoléon, par Lanzac de Laborie.