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M. le duc de Savoie, se mêlent, en effet, sur cet étrange visage, pour lui donner la plus déconcertante physionomie.

Du reste, à en croire ce portrait, Victor-Amédée eût été beau plutôt que laid, sans la petite vérole dont il était cruellement marqué, et sans ses dents fort déplaisantes. Il tenait de son père, le duc Charles-Emmanuel II, le nez un peu long, un peu gros du bout, la figure étroite, qui sont encore de Savoie ; et, de sa mère. Madame Jeanne-Baptiste, le teint clair, les yeux parlans, perçans, la bouche sinueuse, le poil roux qui étaient alors, dit-on, de Nemours. On dit encore qu’il avait la parole fort à la main, beaucoup d’esprit naturel, une mémoire admirable, l’art de charmer quand il voulait plaire ; mais, l’ironique expression de son sourire et surtout de son regard marquait quand même que le diable n’y perdait rien.

Il n’y avait, d’ailleurs, jamais rien perdu, car, tout enfant, à la cour de sa mère, Madame Jeanne-Baptiste, Victor-Amédée cheminait déjà souterrain comme une taupe, parmi les pires intrigues politiques et galantes.

Sa mère, en effet, fille de ce dernier Savoie-Nemours tué d’un coup d’épée par son beau-frère le duc de Beaufort, était arrivée de Versailles, où elle avait été élevée, à Turin, où elle épousait, en 1667, le duc Charles-Emmanuel II, bien plus française que savoyarde. Peu importait son humeur tant que vécut son mari ; mais, il en allait autrement depuis que, devenue veuve et régente en 1675, elle pouvait donner libre pratique à ses goûts effrénés de plaisir et d’intrigue. Sa politique ne s’inspirait plus que des fantaisies de Louvois, ou de celles, pires encore, des favoris que, malgré ses trente ans bien sonnés, elle ne s’épargnait guère. Son fils lui était le moindre des soucis ; à peine le voyait-elle, par étiquette, quelques minutes chaque jour, sans soupçonner le mépris où elle tombait dans ce cœur d’enfant, ni la haine qui y germait contre cette cour de France dont celle de Savoie n’était plus qu’un méchant reflet.

Ce mépris, cette haine marquèrent le petit prince du pli qu’il garda toute sa vie. Froissé dans son orgueil de race, dans ses tendresses d’enfant, abandonné aux premières mains venues, il ne comptait qu’avec ses pires instincts : dissimulé, inquiet, soupçonneux, à l’âge où l’on ne pense qu’au plaisir, il ne songeait, lui, qu’à s’évader des brassières qui l’étouffaient. La moindre allusion à son rôle prochain le rendait rêveur. Sa