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voici qu’il est, désormais, incapable d’action ! Son intelligence demeure aussi vive que par le passé ; il comprend parfaitement que l’héritage de son père est en train de fondre, d’heure en heure, entre ses mains : et il est forcé de subir toutes les catastrophes, après les avoir prévues, sans pouvoir étendre le bras pour les empêcher !


Telle est, dans ses péripéties essentielles, l’histoire tragique qui s’est déroulée en Espagne, vers le milieu du XVIIe siècle, et qui continue à s’y dérouler devant nous, aujourd’hui encore, grâce au mystérieux pouvoir évocateur d’un grand peintre. Considérons, au Prado de Madrid, les portraits d’Olivarès, de la reine Isabelle de Bourbon, — si légère et si gaie sur son cheval blanc ! — des deux frères du Roi, Carlos et Ferdinand, du petit Balthazar Carlos, et la triomphante Remise à Spinola des clefs de Bréda ; examinons ensuite les portraits de la reine Marie-Anne, le groupe des Menines, les figures inquiétantes de l’Ésope et du Bouffon à la toque ; et puis, en regard de ces deux catégories de peintures, correspondant à ce qu’on pourrait appeler les deux actes du drame, interrogeons la longue série des portraits de Philippe, depuis le magnifique petit portrait en armure, peint aux environs de 1623, jusqu’à une sombre esquisse, de dimensions pareilles, qui doit dater de trente ans plus tard : il n’y a pas une de ces figures qui, maintenant, à la lumière des documens recueillis par M. Martin Hume, ne nous apparaisse dans toute la profondeur de sa signification historique, pas une qui ne contribue à nous faire revivre cette tragédie d’un immense empire s’écoulant entre les doigts d’un prince, malgré l’effort désespéré de celui-ci pour le retenir.

Il va sans dire que M. Hume a emprunté à Velasquez les sept ou huit portraits qui illustrent son livre : mais j’aurais souhaité qu’il reproduisît l’œuvre complète du peintre, depuis l’installation de celui-ci à la Cour en 1623, sans exclure même les scènes populaires des Buveurs et des Filandières, ni ces compositions religieuses ou allégoriques, la Forge de Vulcain, le Couronnement de la Vierge, la Rencontre des saints abbés Paul et Antoine qui, profondément imprégnées du génie national de leur temps, nous révèlent le goût raffiné du souverain sous les yeux duquel nous savons qu’elles ont pris naissance. Car jusque sur les plus menus détails du costume ou des accessoires, dans toute cette œuvre, l’érudit anglais se trouve avoir quelque chose à nous apprendre. Et je voudrais pouvoir, par exemple, citer la très piquante explication qu’il nous donne des débuts de la garde-infante, — effroyable crinoline que Velasquez nous montre emprisonnant