l’avenir. En cet instant décisif, tous les bons Français se sont promis à eux-mêmes de travailler, chacun selon ses forces et ses moyens, au relèvement de la patrie commune. A cet engagement, nul, on le sait, n’a fait plus de sacrifices et n’est resté plus stoïquement fidèle que Taine. Ses goûts personnels, sa vocation philosophique l’eussent conduit à donner à son traité de l’Intelligence une suite et un pendant par un livre sur les Émotions et la volonté : il aima mieux, par patriotisme, s’exposer aux contradictions et aux violences de la polémique quotidienne, et les vingt dernières années de sa vie furent absorbées par le dur labeur des Origines de la France contemporaine. C’est ce grand dessein réparateur de conservation sociale qui fait la noblesse de cette vie finissante ; c’est grâce à lui que Taine a pu être non seulement la plus haute expression de sa propre génération, mais encore le guide et le chef des générations nouvelles. Et à le voir, dans les lettres de cette dernière période, solliciter avec sa modestie habituelle les conseils ou les critiques de ses amis, Emile Boutmy, Gaston Paris, Alexandre Dumas fils, et les associer à son œuvre, ou encore accueillir et encourager avec la plus hospitalière bonne grâce les jeunes talens qui viennent à lui, ceux qui seront les maîtres de demain, M. Paul Bourget, M. E.-M. de Vogué, M. Jules Lemaître, on se rend vraiment compte de la place éminente et unique que l’historien des Origines occupait dans les Lettres françaises. Les pieux éditeurs de la Correspondance ont voulu raconter la vie d’un homme : ils se trouvent avoir écrit en même temps la vie spirituelle de deux ou trois générations successives.
Est-ce à dire que l’on doive s’attendre à trouver dans la Correspondance au complet toutes les lettres de Taine ? De propos fermement délibéré, on a voulu ne présenter au public qu’un choix. Il y avait à cela diverses raisons. D’abord, et quelque minutie de conscience qu’on y déploie, la publication d’une Correspondance n’est jamais, ne peut jamais être complète. Depuis qu’il y a des hommes, et qui pensent, et qui écrivent, pourrait-on citer un seul mortel assez infortuné pour avoir mérité que tous ses correspondans conservassent jusqu’aux moindres billets échappés de sa plume, ou assez insensé pour avoir pris et gardé copie des moindres lignes qu’il ait signées ? Les correspondances qui parviennent à la postérité ne sont jamais que des épaves, plus ou moins riches, plus ou moins précieuses, suivant les